
Clark Terry, musicien beyond category
Portrait hommage du trompettiste et discographie sélective.
Les témoignages sont nombreux, touchants et unanimes. De Quincy Jones à Wynton Marsalis, en passant par Jon Faddis, tous les trompettistes mais aussi toutes les musiciennes et tous les musiciens de jazz lui rendent hommage et pleurent le départ de leur mentor, héros ou ami.
Car il était le symbole de la tolérance. Originaire de Saint Louis, Missouri, où il était né en 1920, Clark Terry a connu la ségrégation. Adolescent, alors qu’il se rend à la gare pour rejoindre un orchestre, un groupe de jeunes l’agressent et menacent de revenir le lyncher. Des voyageurs ayant assisté à la scène l’appellent, après leur départ, afin de le cacher dans un wagon. À leur retour, ces apprentis Ku Klux Klan cherchent à savoir où Clark est caché. Mais les voyageurs les orientent dans la direction opposée… De cet événement, Clark retirera une vision positive de l’humanité : des jeunes blancs avaient voulu le pendre mais d’autres l’avaient sauvé !
Son immense talent était reconnu par les plus grands. Sa sonorité, en particulier, le rendait reconnaissable dès les premières notes. Après avoir joué dans sa région natale avec des trompettistes de renom tels que Dewey Jackson et George Hudson, il perfectionne sa technique dans l’orchestre du Great Lakes Naval Training Center pendant la Seconde Guerre mondiale à Chicago, premier site de la marine américaine à recruter des Afro-Américains. Au lendemain de la guerre, il intègre l’orchestre de Charlie Barnet, un des premiers big bands mixtes dans les rangs duquel jouaient deux autres artistes noirs, le trompettiste Jimmy Nottingham et le danseur et chanteur Bunny Briggs (décédé le 15 novembre 2014). En 1948, Clark rejoint l’orchestre de Count Basie et y passe trois années qu’il considérera comme ses années de « college » avant d’intégrer « l’université » en rejoignant celui de Duke Ellington. Dans le big band du Duke, il représentera avec Jimmy Hamilton, Paul Gonsalves et Sam Woodyard « l’avant-garde de la formation ». C’est durant « ces années d’université » qu’il se met au bugle et personnifie encore davantage la sonorité ronde et feutrée qui le caractérisait. Clark aimait les grandes formations ; au tournant des années 1960, il a fait partie en Europe du big band de Quincy Jones avant de passer les Sixties dans l’orchestre du Tonight Show de la NBC dirigé par Doc Severinsen, trompettiste qu’il avait connu chez Charlie Barnet. Il dirigera durant les années 1970 son propre grand orchestre : le Big Bad Band, mais tournera essentiellement en quintette dans le monde entier durant les décennies suivantes.
- New York, 1973. Photo Claude Carrière
Clark était un sage, et malgré toute cette intense activité, il n’a cessé de transmettre son expérience aux trompettistes et à tous les musiciens, assurant des master classes dans les écoles, les colleges et les universités. Clark Terry a également encouragé les femmes et aidé plusieurs musiciennes aujourd’hui reconnues en les prenant dans son orchestre : la chanteuse Dianne Reeves ou les batteuses Terri Lyne Carrington et Sylvia Cuenca.
Dans les années 2000, il enseigne à la William Patterson University (New Jersey). C’est là qu’il rencontre deux de ses derniers étudiants, Alan Hicks (batteur, promotion 2003-2007) et Justin Kauflin (piano, promotion 2004-2008) qui nous offrent un précieux témoignage de son extraordinaire vitalité, de son amour de la vie, de sa volonté de transmettre sa connaissance et d’écouter la demande des jeunes musiciens, et de ce qui lui était le plus cher, sa musique. Pendant près de cinq ans, diplôme universitaire en poche, ils ont filmé le trompettiste chez lui et cette troublante « passation » entre Clark et Kauflin. Ce documentaire s’intitule Keep On Keepin’ On, d’après une citation de Clark Terry.
Celui-ci a enregistré son dernier disque, comprenant huit compositions originales, avec son dernier sextet composé d’étudiants du Département de musique de la William Patterson University. On y retrouve Justin Kauflin et Alan Hick aux côtés de Brian McCarthy (saxophone alto ; promotion 2001 – 2005), Stantawn Kendrick (saxophone ténor ; promotion 2004 – 2008), Cameron MacManus (trombone ; promotion 2002 – 2006), Nicholas Morrison (contrebasse ; promotion 1997 - 2001), et en invité le professeur David Demsey au saxophone ténor. Toutes les archives du trompettiste (instruments, affiches, récompenses, partitions et arrangements pour le Big Bad Band, enregistrements, souvenirs, ainsi que ce documentaire) sont déposées à la William Patterson University. Témoin de son abondante production : sa version de « Porgy and Bess » que Clark enregistre en 2004, à la trompette et au bugle sur les arrangements de Gil Evans et avec le Chicago Jazz Orchestra dirigé par Jeff Lindberg. Sa vue ayant baissé, on lui avait préparé des partitions de grande taille…
Enfin, Clark Terry, c’était l’humour. Il utilisait des « gimmicks », en jouant par exemple la trompette retournée (c’est-à-dire les pistons vers le bas), ou une trompette dans la main gauche et une dans la main droite, en pratiquant la respiration continue au fil de longues phrases - gimmicks développés à l’époque où il jouait dans les minstrel shows de sa région natale. Il pouvait même se moquer de la communauté afro-américaine en imitant la façon de marmonner des vieilles grenouilles de bénitier grâce à son « mumble » (traduction littérale de marmonner). C’est irrésistible ! Découvrez notamment le début de « The Orator (C.T.’s Sermon) » du CD Talkin’ Trash paru sous le nom de James Williams, une belle façon de s’initier à sa musique et de réécouter ce fabuleux Clark Terry !
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- « The Orator (C.T.’s Sermon) » avec James Williams et Clark Terry,