Chronique

Madeleine & Salomon

A Woman’s Journey

Clotilde Rullaud, voix et flûte. Alexandre Saada : piano, Rhodes, clavinette

Label / Distribution : Promise Land

Posée sur le silence, une voix nue ouvre l’album, avec ces mots : « She does not know her beauty. » A Woman’s Journey est un hymne à la beauté extérieure et intérieure des femmes, comme à la voix, parlée et chantée, et, bien sûr, à la musique. A la suite d’une commande du Melbourne Recital Center, Clotilde Rullaud invite Alexandre Saada à l’accompagner sur un répertoire de chansons engagées, toutes interprétées par des femmes et concernant la vie des femmes.
Nina Simone arrive en tête avec trois morceaux (« Images », « Little Girl Blue » et « Four Women ») et on trouve aussi, par exemple, du Janis Joplin (« Mercedes Benz »), Nicolette (« No Government »), « Strange Fruit » de Billie Holiday et Abel Meeropol, et une chanson de Cole Porter, en français, chantée par Joséphine Baker, « Vous faites partie de moi ».
Avec ce voyage d’une femme, la chanteuse et le pianiste offrent des interprétations émouvantes et saisissantes de 14 morceaux, plus ou moins connus.

En plus de l’engagement politique, le parti pris est celui de la nudité. La voix et les sons tirent un fil au-dessus du vide, qui maintient tout le disque dans une tension douce. A l’aise dans le registre de la chanson populaire comme dans des couleurs plus rhythm’n’blues, Clotilde Rullaud est pour ceux qui ne la connaissaient pas (j’en fais partie), une véritable révélation. Également flûtiste, elle s’intéresse aux musiques dites du monde, et a travaillé en France avec Tristan Macé, Emmanuel Bex ou Alain Jean-Marie. Les variations qu’elle apporte au sein d’une esthétique générale de l’épure suffisent à créer de petits évènements musicaux à chaque fois. Avec l’aide de Saada, elle traverse des endroits poétiques très divers. « The End of Silence » nous est chuchoté à l’oreille, quand la chanson qui lui est accolée, « Mercedes Benz », ouvre tout à coup un espace immense grâce à une voix qui puise sa force, entre autres, dans sa connaissance du lyrique. Madeleine & Salomon ont construit un parcours brillant, qui repose sur des contrastes très réussis ; ainsi le double morceau « No Government / High School Drag » qui mélange un enregistrement de « High School Drag » par Phillippa Fallon — dont la voix semble sortir d’un mégaphone — avec le morceau de Nicolette exécuté par Rullaud, superpose le chanté et le parlé, le mélancolique et l’accent populaire, l’harmonique et la rythmique du piano préparé de Saada.

Comme Clotilde Rullaud, ce dernier se métamorphose au gré de ce que demandent les morceaux choisis. Ni trop présent, ni pas assez, il se situe juste à la bonne distance de la voix, si bien qu’on l’oublie par moments, tant il forme avec elle un corps organique et cohérent. Au piano, au Rhodes ou au Clavinet [1] , il est tout en retenue et en délicatesse. Leur version de « Strange Fruit » est exemplaire du souffle qui porte tout ce travail : majestueux, avec une forme de gravité pudique, et un peu de bricolage ludique (« Bain Libre » 1 & 2). Un disque fabuleux.