Scènes

Clovis Nicolas, phocéen d’un jour

Le contrebassiste Clovis Nicolas est venu à Marseille pour une master-class et un concert.


© Shervin-Lainez

C’est dans la cité phocéenne, où il fit véritablement ses premières armes en jazz il y a près de trente ans, que le contrebassiste désormais établi à New-York, Clovis Nicolas, a donné une master-class et un concert le 29 juillet dernier.

Une master-class de contrebasse jazz

Clovis Nicolas ne se considère pas comme un maître : « Ron Carter, lui, c’en est un », devait-il préciser. Néanmoins, il prend sa tâche avec le sérieux qui sied à sa fonction de musicien. Avec un rare sens de son inscription dans l’histoire de l’instrument. C’est pourtant par sa version de « Hot House » qu’il introduit cette session pédagogique : le standard bebop de Tadd Dameron, qui ouvre son album solo « Autoportrait », tombe à pic en cet après-midi caniculaire. Pas de partition pour ces trois heures : « Le jazz est une musique de tradition orale ».

De sa vie musicale américaine, il invite les assistant.e.s à prendre en considération des éléments de méthode peu coutumiers en Europe. Le Beat tout d’abord, « quelque chose qui donne envie d’aller de l’avant, de rebondir et qui porte l’orchestre », sachant que « s’il y a des milliers de contrebassistes sur la planète qui peuvent jouer des walking-bass, on retrouve les cent mêmes car ils ont le Beat ». Le Feel ensuite : « Le vrai jazz c’est comme une langue avec laquelle on aide les autres musiciens à s’exprimer ; quand j’ai joué avec Herbie Hancock par exemple, ce qui m’a saisi c’est son Feel alors que je connaissais vraiment sa musique ».

Ce qui relèverait de la technique pour un profane ne relèverait-il pas ici de l’art ? Ainsi du débat sur la main droite : faut-il « attaquer » les cordes de l’instrument avec un ou deux doigts ? C’est l’occasion de citer Christian McBride : « Il y a autant d’écoles qu’il y a de contrebassistes » et de rappeler que, si les grands maîtres de l’instrument jouent avec l’index, c’est pour conserver un son homogène. Ainsi de Ray Brown, dont il nous passe un « Sophisticated Lady » extrait de l’album en duo avec Duke Ellington « This One’s for Blanton » (en hommage à Jimmy Blanton, qui, durant de trop courtes années aux côtés de ce dernier, fit sortir la contrebasse de son rôle strictement accompagnateur). Fin pédagogue, Clovis Nicolas en profite pour argumenter sur la nécessité de travailler les thèmes bebop (car la contrebasse bebop c’est Brown, dont il révèle que, au moment d’entrer en studio avec Ellington, il avait les jambes qui tremblaient tellement il avait la trouille). Pour rappeler, qu’en matière de langage, l’articulation est primordiale - et de passer à ses élèves « Dexterity » par McBride. Et puis, cette satanée main droite, elle doit rester en bas de la touche et doit être exercée avec l’exécution régulière de triolets, « parce que la conception ternaire du temps c’est l’héritage africain dans les musiques afro-américaines ».

« Non ta main droite ne remontera pas au-dessus de ma main » (France Duclairoir, Clovis Nicolas)

Passons sur les séances de torture auxquelles les apprenant.e.s se livrent volontiers : le « maître » reste toujours bienveillant. Sans négliger l’exigence cependant. Ainsi de la méthode de travail, qui relèverait de celle du sportif, avec un supplément d’expérience émotionnelle. Avec le Temps comme horizon, évidemment.

Performance solo et concert en trio

Dans la soirée, c’est dans le cadre de la programmation du « Jam hors les murs » que devait s’exprimer le désormais New-Yorkais. Le club qui fit les belles soirées du quartier de La Plaine ayant dû fermer du fait d’un voisinage stupide, l’équipe organisatrice s’est démenée pour organiser un concert dans un ancien atelier de confection de costumes de théâtre, sur la rive gauche du Vieux-Port. La magie opère d’autant plus dans un lieu resté quasiment « dans son jus », où l’on accède par un escalier de service qui rappelle l’entrée dans un bon vieux squat !

Heureusement, précise Nicolas, il y a l’air conditionné. Cela lui permet de livrer quelques pépites de son « Autoportrait » qu’il joue dans quelques villes de l’Hexagone cet été. Dans le loft, l’ambiance est à l’écoute jouissive de la part du public. « After Bach », « Hot House », « Evidence »… Il révèle qu’il est doué de synesthésie, ce qui lui permet d’associer les sons à des couleurs. Il propose à quelques personnes du public de lui dire une couleur à partir de laquelle il va jouer l’une de ses pièces, à chaque fois dans une tonalité différente. C’est bluffant. Clovis chante quand il joue, d’une voix quelque part timide et touchante, comme s’il était un enfant réalisant ses rêves. Et tant qu’à chanter, quelle bonne idée de terminer ce set par « La Javanaise ».

Fred Drai, Clovis Nicolas, Cédrick Bec

Pour quelques standards de plus, il a accepté de bonne grâce de se plier à l’art du trio avec des musiciens parmi les plus en vue de la ville. Entre Fred Drai au piano et Cédrick Bec à la batterie, il est un passeur d’émotions plus que de sons : on sent vraiment qu’il est au confluent des âmes des deux premiers, en même temps qu’il semble convoquer l’esprit des Grands Anciens qui nourrissent son art.