Chronique

Dmitry Baevsky

Kid’s Time

Dmitry Baevsky (as), Clovis Nicolas (b), Jason Brown (dm)

Label / Distribution : Fresh Sound Records

Et de dix pour le sax alto Dmitry Baevsky ! Un dixième album en tant que leader, placé sous le signe de l’épure car pianoless. On sait ce musicien originaire de Saint-Pétersbourg, et désormais établi à Paris après un long séjour à New-York, friand d’une forme d’une forme de « tradition » jazzistique. On se doute qu’en faisant un disque sans piano il avait en tête les interactions du sein du trio de la monumentale « Freedom Suite » de Sonny Rollins - à laquelle le contrebassiste Clovis Nicolas, présent sur cet album avec un son plus que soyeux et boisé, avait consacré un très beau projet. Il semble s’être également nourri du quartet de Gerry Mulligan avec Chet Baker, dont les innovations créatives sont toujours d’actualité – il convie d’ailleurs Stéphane Belmondo pour des duos d’une rare émotion.

C’est que revendiquer une posture enfantine, pour Baevsky, ce n’est pas donner dans l’infantilisme mais plutôt développer un interplay où la dimension ludique permet d’accéder à des univers poétiques tendant à une forme d’innocence artistique. Son jeu de sax alto fait tantôt songer au lyrisme d’un Paul Desmond, tantôt à la chaleur d’un Cannonball Adderley ou bien encore à la liberté d’un Ornette Coleman (pianoless oblige), sans pour autant ignorer cette quête du fond du temps à la Dexter Gordon – dont il reprend ici le calypso « Soy Califa ».

Son phrasé, toujours en résonance avec les thèmes de ses compositions, lorgne vers l’infini et ne se répète jamais. Ses compositions se nourrissent d’un jeu en miroir avec une rythmique dont le sens de la conversation ne peut jamais être mis en défaut. Jason Brown, le batteur, dont la complicité avec le leader et avec Clovis Nicolas semble ne pas avoir d’égale, propulse le son d’ensemble dans des limbes acrobatiques, à la fois narquois et savants, par un jeu nourri d’oxymores, furtif et sans faille. Les pulsations du trio titillent les sens au-delà du swing et des grooves dont les musiciens font leur miel, avec une appétence pour l’impair sans jamais négliger une furieuse envie d’inciter à la danse, ou du moins aux claquements de doigts. Les mille et une nuances de bop (be, hard, ou post, peu importe) de ce disque ont la saveur des contes éternels du jazz.

par Laurent Dussutour // Publié le 16 avril 2023
P.-S. :

Avec Stéphane Belmondo (tp, bg)