Chronique

Cordoba Reunion

Argentina Jazz

Minino Garay (perc), Javier Girotto (sax), Carlos « El tero » Buschini (b), Gerardo di Giusto (p)

Label / Distribution : Cristal Records

Le titre de cet album résume assez bien le concept musical : à la croisée des chemins entre musique argentine et jazz, quatre musiciens originaires de Cordoba, en Argentine, se sont réunis pour produire une musique à nulle autre pareille.

De ces musiciens, le plus connu chez nous est peut-être Minino Garay, percussionniste fougueux et charismatique qui s’est illustré auprès d’artistes tels que Julien Lourau, Magik Malik, André Cecarelli ou Dee Dee Bridgewater. Quatre Argentins, donc, issus du tango mais pas seulement, qui, après des études supérieures de musique, se sont volontairement exilés en Europe et aux États-Unis pour mener une carrière internationale ou parachever leur cursus (CIM et École Normale de musique de Paris pour le pianiste Di Giusto et Berklee pour le saxophoniste Girotto). Le bassiste Carlos Buschini, quant à lui, a suivi sensiblement le même parcours : conservatoire puis multiples collaborations en Europe (Bojan Z, Julien Lourau, Laurent de Wilde…).

L’entité Cordoba Reunion est donc née de la rencontre de ces quatre grandes figures de la scène musicale internationale, rassemblées par une région qui les a vues naître - Cordoba - et par le besoin profond et brûlant de revisiter leurs racines, dont ils s’étaient éloignés un temps. C’est ce qui a donné naissance à l’« Argentina Jazz ». Musique à nulle autre pareille, disions-nous. En effet, elle mélange savamment les rythmes argentins et les harmonies jazz, sans qu’on puisse dire qui prend le pas sur qui. A quoi il faut ajouter la touche personnelle de chaque musicien : un brin de classicisme avec le piano de Di Giusto, le lyrisme haletant et explosif du soprano de Girotto, qui se déchire littéralement sur son instrument, la rondeur et le moelleux de la basse, (acoustique ou six cordes, c’est selon) et, enfin, la polyvalence à la fois rythmique et musicale de Minino Garay, qui jongle entre la batterie, le cajòn et les percussions traditionnelles.

Les compositions originales (à l’exception de « La Oncena », d’Eduardo Lagos), partagées entre Girotto, Di Giusto et Buschini, sont interprétées avec émotion et beaucoup d’intensité. Elles signalent un sens aigu de la construction thématique, appuyé par de solides arrangements. C’est là un jazz résolument actuel, alternant moments de grâce et de délicatesse dans une atmosphère typiquement argentine, sans pour autant se focaliser sur le tango, et où l’on entend parfois un cri, dont - comme le dit si bien Gerardo di Giusto - « on ignore s’il s’agit du cri d’une nation ou de l’humanité tout entière. »

La difficulté, dans cet exercice de style qu’est le mélange de deux traditions et l’opposition entre modernité et tradition, est que l’on peut rapidement tomber dans le convenu, le déjà vu et l’insipide. Or, il n’en est rien ici. Grâce à l’excellente interprétation et à la qualité d’improvisation des solistes, la force qui habite cette musique suggère chez ces musiciens ce supplément d’âme indispensable à qui veut mener une vie moins prosaïque.

Et si vous avez la chance de croiser la route de ce quartet, en tournée actuellement dans toute l’Europe, allez les écouter ! Bien entendu, l’ « Argentina Jazz » prend toute sa mesure sur scène, et rien que pour voir Minino derrière sa batterie ou Girotto se pliant en quatre pour tirer des suraigus de son sax, cela vaut plus que la peine de se déplacer.