Chronique

Rabih Abou-Khalil & Joachim Kühn

Journey To The Centre of an Egg

Rabih Abou-Khalil (oud), Joachim Kühn (p, as), Jarrod Cagwin (dms)

Label / Distribution : Enja Records

Ces deux-là n’avaient jamais joué ensemble, et pour cause. Qui aurait eu l’idée un peu saugrenue d’associer piano et oud ? Rien ne rassemble ces instruments ; ni les cultures, ni les sonorités. D’autant plus qu’ils sont, chacun, ô combien symboliques d’une culture. Le piano est l’instrument roi de la composition occidentale et le oud - le luth arabe -, occupe à peu près la même place dans la culture orientale. Deux éminents symboles, donc. Rien ne les rapproche donc, si ce n’est l’idée qu’en musique tout est possible, et que les frontières sont aussi faites pour être dépassées.

A l’écoute de cet opus, on se surprend à trouver le mariage des deux instruments tout naturel. Cela tient certainement au fait que leurs interprètes ne sont pas des inconnus : Kühn, sommité allemande du jazz comptant quelque deux cents enregistrements à son actif et Abou-Khalil, figure incontournable de la musique orientale, dont on évitera ici de dresser la liste des musiciens avec lesquels il a collaboré. De la rencontre de ces deux personnalités musicales exceptionnelles ressort une œuvre forcément intéressante et digne que l’on s’y arrête.

Le résultat est un beau disque, que l’on écoute avec plaisir tant on sent que les deux protagonistes s’entendent bien. Les phrasés funky de Kühn répondent à l’improvisation modale d’Abou-Khalil et les sonorités des deux instruments, qu’on pouvait croire opposées, se mêlent admirablement. Alors, où sommes-nous, finalement ? Quelque part entre Orient et Occident... Mais après tout, peu importe ! Ce disque transpire l’intelligence du jeu et l’amour de la musique. L’élégance est partout présente. La finesse n’est jamais très loin non plus. Ne soyons pas ingrat en omettant de signaler le travail admirable de Jarrod Garwin, qui sait souligner et habiller avec subtilité les émotions et les intensités créées par les deux mélodistes.

Avec cet album, on est loin de tout, et en même temps près de quelque chose qu’on ne saurait définir, mais que l’on connaît pourtant déjà. C’est sans doute ce sentiment étrange qui a inspiré le titre, pareillement étrange, du disque : « Voyage au centre d’un œuf ». Peut-être est-ce là une image pour évoquer « l’œuf » que nous avons été dans le ventre maternel, où nous étions à la fois loin de tout et au centre du monde. Comme dans cette musique, en somme.