Scènes

Dave Douglas : grand format


L’histoire du jazz est liée depuis toujours à l’existence de formations de grande taille. Mais l’époque où les orchestres de swing régnaient en maîtres et attiraient les foules est depuis longtemps révolue. Désormais, il est devenu très difficile de faire vivre un orchestre ; seuls s’en sortent quelques prestigieux exemples tels que le Vienna Art Orchestra ou le NDR Big Band. Séduits, de nombreux artistes ont pourtant écrit pour les formations nombreuses, s’ouvrant ainsi de nouvelles perspectives en terme de composition. Dave Douglas est de ceux-là.

Au début de sa carrière, le trompettiste a fait ses armes avec des groupes comme le big band expérimental Orange Then Blue, mené par George Schuller, qui a vu passer dans ses rangs quelques-uns des jeunes musiciens les plus prometteurs des années quatre-vingt-dix : outre Dave Douglas, citons Cuong Vu, Chris Speed, Matt Darriau, Allan Chase, Dave Ballou, Marcus Rojas, Reid Anderson ou encore Andrew D’Angelo. Orange Then Blue, avec lequel il a enregistré en 1993 [1] a permis à Douglas de découvrir l’écriture pour une douzaine de musiciens.

Orange Then Blue (GM Recordings, 1993)

Récemment, il s’est lancé dans la composition au sein de deux projets distincts ; d’abord Blue Latitudes, pour 14 musiciens et 3 improvisateurs créée en 2006 en Grande-Bretagne avec le Birmingham Contemporary Music Group, Mark Dresser et Susie Ibarra. Cette suite en dix mouvements tire son nom des travaux de Tony Horwitz autour des explorations du Pacifique Sud par James Cook en 1768 et 1779. Le voyage en est donc l’inspiration principale. Pour Douglas, Blue Latitudes comprend à la fois le trio, l’ensemble et les trois solistes. Le dernier concert donné en Grande-Bretagne a fait l’objet d’un enregistrement ; malheureusement, un problème technique en a empêché la publication.

Dave Douglas © Michel Laborde/Vues Sur Scènes

En 2007 il se remet à composer pour big band. Artiste en résidence au festival JazzBaltica de Salzau (Allemagne) en juillet 2007, il se voit proposer par Rainer Harmaan, le directeur, d’écrire une œuvre à jouer l’été suivant (2008) en compagnie du NDR Big Band, avec à sa tête Dieter Glaswischnig. Dave Douglas se met au travail et accouche de Letter from America, devenu depuis Delighted States. Cette suite a pour but, d’après son auteur, de rendre hommage aux États-Unis à travers leur musique mais aussi de mettre en lumière les dérives de la politique de George W. Bush. L’œuvre en elle-même a un point commun formel avec Blue Latitude : ce disque comportait un trio d’improvisateurs (Douglas, Dresser, Ibarra) en plus du Birmingham Contemporary Music Group. Pour Delighted States, en plus du NDR Big Band, Dave Douglas fait appel à un quintet : James Genus et Clarence Penn sont là en habitués, accompagnés de Simon Nabokov au piano et Joe Lovano au saxophone.

Joe Lovano © Patrick Audoux/Vues Sur Scènes

Delighted States porte la signature de Douglas même si l’influence de figures majeures telles qu’Ellington, Mingus ou Thad Jones est évidente. Dans le quintet ou dans l’orchestre, tout le monde a droit à la parole, que ce soit au cours des chorus ou des mouvements orchestraux tout en nuances et en puissance. Cette première - une réussite - inspirera sans doute d’autres projets à Douglas qui, d’ici-là, a de nouveau présenté la suite en Allemagne, en attendant de pouvoir l’enregistrer un jour.

par Julien Gros-Burdet // Publié le 21 septembre 2008

[1Orange Then Blue, While You Where Out (GM Recordings, 1993.)