Chronique

David S. Ware

Live in the Netherlands

David S. Ware (ts).

Label / Distribution : Splasc(H) records

Quelle nuance peut-il y avoir entre jouer un solo et jouer en solo ? Sans doute une frontière ténue, celle qui admet ou exclut l’Autre. Car l’Autre est là dans le solo. Il est à côté, tapi dans l’ombre du soliste, attendant un futur silence pour sortir de son mutisme fébrile. Cette attente suspend le temps aux notes, avant de changer de propriétaire. Mais il n’y a pas d’Autre en solo. Privé de jouer avec lui, on peut à la rigueur jouer pour lui. Il passe alors du statut d’acteur à celui de témoin auditif, réduit à l’état de concept de l’Autre, comme s’il n’était déjà plus là. « Un » solo ou « en » solo, ce serait donc cette distance qui sépare la solitude de l’isolement.

Les disques en solo sont rares, c’est un fait. D’abord parce qu’il y a moins de compositions pour musicien unique, ensuite parce que le public y est peu réceptif. Le piano peut jouer en solo, car comme disait Duke « il est un orchestre tout entier ». Mais un saxophone, une flûte, une basse, un tuba, on l’accepte moins. C’est trop exigeant, cela coûte. Au soliste comme à l’auditeur. Alors on ne prend pas le risque. Le risque, ce facteur que les improvisateurs affrontent les yeux dans les yeux comme un matador son taureau ; la proie se retournant contre son prédateur. David S. Ware prend ce risque. Il souffle, se vide, se fait violence, s’oublie, se libère. Free Me Myself and I… Parler de ce disque serait aussi vain que chercher à décrire un nuage. Au terme de 39 minutes intenses, replongé dans un monde intérieur, on en sort éprouvé et émerveillé comme un nouveau-né.