Chronique

Didier Fréboeuf & Jean-Luc Petit

Crusts

Didier Fréboeuf (p, melodica), Jean-Luc Petit (ts, ss, cbcl).

Label / Distribution : FOU Records

La pochette, toujours soignée chez Fou Records, représente un papier peint décollé, un mur à nu. Une belle métaphore de ce que nous propose le pianiste Didier Frébœuf - entendu avec Christiane Bopp et Didier Lasserre - en compagnie d’un habitué du label, le multianchiste Jean-Luc Petit, notamment membre des Barbares avec Christiane Bopp. Il y a ce que l’on voit et ce que l’on cache, une approche très concertante dans le piano parfois lointain de Frébœuf, quelque chose de très contemporain mais aussi fragile, translucide… Et puis derrière la matière brute, La Matière des souffles comme le définissait joliment un album de Petit.

La musique du duo est une gomme souple qui se malaxe et se sculpte, non pour chercher la joliesse, mais pour au contraire afficher quelque chose de plus brut, notamment lorsque Petit est au ténor (« Bark »). Une sorte de communion hirsute qui prend une tout autre dimension lorsqu’il délaisse le ténor pour sa magnifique clarinette contrebasse (« Scab »). Dans « Bark », Frébœuf joue comme s’il était aux antipodes, à pas feutrés mais rapides comme pour chercher quelque issue. Son piano se prépare, se larde d’objets. Petit, lui, se précipite avec une pointe d’agressivité. Il n’y a pas de course-poursuite entre les deux, juste une volonté de conquérir l’espace disponible et de trouver moyen de s’étendre. De percer la croûte (Crusts) qui recouvre cette mise à nu.

C’est « Crisp », le dernier morceau de ce concert donné à Bordeaux en novembre 2022, qui offre une sorte de dénouement. Le piano de Frébœuf devient plus véloce, cognant ses basses avec davantage de force, comme s’il s’était libéré d’un carcan. Petit au sopranino suit le mouvement comme à bout de souffle. On a été accoutumé à une précision millimétrique du clarinettiste ; force est de constater que, depuis Écorchure avec Favriou et Baysse, son passage au saxophone est davantage lié à l’urgence. Mais comme une sorte de cycle, quelque chose de profondément végétal, cette enveloppe se referme en toute fin de morceau, alors que Frébœuf se saisit d’un melodica pour faire vibrer d’autres anches, pour se mettre en osmose avec son vis-à-vis, comme ces fleurs qui se referment la nuit après avoir souri au soleil.