Chronique

Vesna Pisarović

Petit Standard

Vesna Pisarović (voc), Gebhard Ullmann (bcl, ts), Joe Fonda (b), John Betsch (dms)

Label / Distribution : Jazz Werkstatt

Imaginons un instant Patrick Fiori ou Natasha Saint Pier cités dans Citizen Jazz [1]. Bref, qu’un des représentants de la France à l’Eurovision soit capable d’un disque de jazz sans qu’aucune des têtes de gondole télévisuelles du jazz français en soit responsable. Imaginons que le résultat soit bon, voire troublant. Improbable, n’est-ce pas ? Impossible n’est pas croate. Vesna Pisarović, personnifiant l’ancienne république yougoslave à damiers en 2002, signe avec Petit Standard un disque au charme puissant, avec un timbre flirtant parfois avec l’alto. Elle avait déjà étonné les connaisseurs des Balkans avec un Great Yugoslav Songbook un peu sucré ; on change de registre. Les titres sont connus, parfois convenus (« Honeysuckle Rose », « Morning Joy »…) Mais le quartet qui l’accompagne est ahurissant et aventureux. Jugez plutôt : Joe Fonda à la contrebasse, remarquable de clarté dans son jeu, John Betsch à la batterie et Gebhard Ullmann à la clarinette basse ou au saxophone ténor qui trace une route bien escarpée.

Il en résulte une atmosphère sensuelle, tannique et parfois enivrante. La batterie de Betsch pousse la chanteuse dans ses retranchements ; contrairement aux cahiers des charges à la mode, elle ne cherche pas la performance, la course de vitesse ou l’attrait des caméras. Lorsqu’on écoute « The Man I Love », avec la clarinette et la contrebasse qui enveloppent une voix douce et sans effets particuliers, on entend davantage l’héritage d’Irène Aebi, la fidèle vocaliste de Steve Lacy (« Prospectus ») que celui de Melody Gardot ; on ne s’en plaindra pas, d’autant qu’une large place est laissée aux musiciens qui font de Petit Standard un produit tout sauf standardisé. Comme quoi.

C’est sans doute dans la magnifique version de « Lonely Woman » que le disque, paru chez Jazzwerkstatt, atteint son objectif. Joe Fonda tient une ligne droite bien que chaloupée, extrêmement lumineuse, avec un batteur qui joue le rôle d’une noirceur très musicale ; Ullmann s’efface au profit d’une voix qui ne minaude jamais et ne se laisse pas aller à la lascivité. Soufflant et chant se complètent, se répondent, s’épousent parfois sans jamais chercher l’effusion ou l’émotion factice. Comme quoi on peut avoir fait l’Eurovision et ne pas se sentir obligée d’aller chanter chez Mickey.

par Franpi Barriaux // Publié le 30 juin 2019
P.-S. :

[1Ce qui vient d’être fait, je prépare donc ma lettre de démission…