Chronique

Rémi Gaudillat

Le chant des possibles

Rémi Gaudillat (tp, bugle), Fred Roudet (tp, bugle, tuba), Loïc Bachevillier (tb), Laurent Vichard (clb).

Label / Distribution : Instant Music Records

Le chant des possibles est un objet de séduction, sur la forme comme sur le fond : d’abord le titre, qui dit l’essentiel en quatre mots, l’amour de la mélodie et le pari d’une liberté comme une porte ouverte sur un imaginaire poétique ; puis les titres des compositions, évocateurs de leurs climats nomades : « Jeux d’ombres », « Envolées », « L’armée des poètes », « Le voyage » ou bien encore « Lune triste ». Et enfin un visuel dont l’élégance liquide et suggestive semble nous indiquer le chemin clair-obscur sur lequel nous emmènera la musique. Un soin discret est apporté à l’objet-disque, qui devient au fil du temps la patte du label IMR.

Rémi Gaudillat est un trompettiste dont le jeu chante et délivre une vibration profonde et humaine ; il le démontre depuis longtemps, notamment par ses collaborations répétées avec Bruno Tocanne au sein du réseau iMuzzic. Parmi leurs travaux communs, retenons In A Suggestive Way ou Libre(s)Ensemble, éclatantes démonstrations de leur créativité libertaire, sans oublier la belle série des Dreams [1] du batteur, ni l’i.Overdrive Trio aux intonations plus rock, tout comme peut l’être par ailleurs le roboratif Docteur Lester, fanfare bouillonnante et clin d’œil à Lester Bowie dont le récent No Way ! est un petit bijou de fantaisie délurée. Ajoutons à cela Call It Anything, premier album du trompettiste en leader, dont la parution remonte à 2009.

Avec Le chant des possibles, nouvelle production enfantée par la compagnie Les Improfreesateurs, on entre de plain-pied dans un univers à l’esthétique singulière, celle d’un quatuor composé uniquement d’instruments à vent dont les textures font l’objet d’un brassage amoureux (trompette, bugle, trombone, clarinette basse et tuba). Sa musique capte l’attention par l’imbrication fluide de mélodies qui sonnent comme de véritables chants – on comprend encore mieux le titre du disque – et d’espaces plus secrets, plus nerveux, où s’épanouissent des échanges dessinés par quatre experts en évasion musicale. Ceux-là savent aussi demander à leurs instruments de dépasser leur rôle de respirateurs naturels, ils leur donnent le muscle de la pulsation et sont toujours prêts à les laisser jaillir pour aller voir si l’herbe de la conversation est plus verte ailleurs. Et même si les cartes sont redistribuées à chaque composition, car il n’y a jamais de rôle prédéfini, on note qu’aux accents terriens de la clarinette basse, du tuba et du trombone répondent bien souvent les élans aériens des trompettes ou du bugle. Une musique entre ciel et terre.

Aux côtés de Rémi Gaudillat, Fred Roudet, Loïc Bachevillier et Laurent Vichard complètent une quarte à forte teneur en inspiration onirique - une association de bienfaiteurs dont les rôles, distincts et équitables, ne sont jamais écrasants. Des soufflants qui proscrivent la vanité de la course en avant et savent mettre leur talent au service d’une recherche aventureuse de liberté déclarée cause commune. Ces musiciens complices savent aussi sortir du cadre formel du jazz pour aborder avec ferveur les rivages plus intimes d’une musique chambriste dont les contours sont à la fois incertains, parce que tout n’est pas écrit, et stimulants par la variété des paysages qu’ils mettent en lumière. On passe ainsi de l’exubérance à la nostalgie, un peu comme dans un film italien des années 60. Par-dessus tout, le quatuor ne perd jamais de vue – ou d’oreille – la nécessité d’ancrer sa musique dans une expression qui sait être savante, voire expérimentale ou bruitiste, sans se couper pour autant d’une vibration populaire, par l’usage de mélodies entêtantes, dont Gaudillat a fait sa spécialité. Émerge alors de cet art dual une peinture sonore à la fois énergique et impressionniste qui exhale un parfum séduisant.

Parler de jazz, c’est bien souvent parler de la vie elle-même. Le chant des possibles en relate une nouvelle étape, entre ombre et lumière, dans la suggestion tout autant que dans l’affirmation. Rémi Gaudillat et ses camarades sont à considérer comme des conteurs à l’inspiration fébrile mais jamais tapageuse. Ils chantent, cherchent, se trouvent et inventent des possibles. Une histoire en maints chapitres dont la fin est loin d’être révélée.