Chronique

Domeniconi / Schlegel / Suter

Quince Dreams

Roberto Domeniconi (p), Jan Schlegel (b), Sheldon Suter (dms)

Label / Distribution : Creative Sources

Le pianiste suisse Roberto Domeniconi n’était connu jusqu’ici que pour sa participation au Zirkumpolare Jazzorchester avec Christian Weber et Julian Sartorius. Avec deux figures de la scène free de Lucerne, le bassiste Jan Schlegel (Billiger Bauer, Tommy Meier Root Down) et le batteur Sheldon Suter (Big Bold Back Bones) - pourtant habitués à des climats bien plus hostiles - le pianiste s’en va chercher les limites du silence avec divers artifices. Son piano, devenu véritable générateur de son, n’est pas utilisé uniquement pour frapper les cordes ; dans « Scaccapensieri », il fait feu de tout bois, se rend sensible aux caresses et se mélange même avec une certaine excitation aux trouvailles percussives de Suter.

Ce n’est pas parce que Quince Dreams n’est pas hérissé de métal et de rage que nous nageons en pleine quiétude. Certes, le batteur n’a pas la force de frappe que nous lui pensions générique, mais il ne tient pas en place. Lesté de nombreux objets, il tinte, il sonne, il habille les cycles répétitifs du piano et fait face à un bassiste qui flotte entre deux eaux. Jan Schlegel est de ces musiciens que l’on repère ; avec sa basse à six cordes, il a une indéniable réputation de mélodiste, ce qui ne l’empêche pas de se faire rocailleux et d’imposer parfois un pas lourd (« Blue Curry », où il encadre le piano préparé de Domeniconi) où l’on sent l’explosion proche, comme un souffle d’excitation.

Dans ce contexte, le pianiste improvise avec beaucoup de liberté, mais sans jamais s’éloigner de l’orchestre. Si parfois il semble disparaître (« Quittology »), c’est pour mieux travailler le son à la racine, pour s’emparer du moindre espace et lui donner du relief. Quince Dreams fait songer aux brumes matinales qui apparaissent en début de printemps, lorsque le soleil est franc et vient de se lever : venues de nulle part, d’abord légère puis d’une épaisseur incongrue (« Nimbus »), elles peuvent s’évaporer en un instant pour mieux revenir quelques encablures plus loin. Une expérience de l’impalpable aussi abstraite et angoissante qu’elle peut être passionnante.