Chronique

Sati(e)rik Excentrik

Sati(e)rik Excentrik

Gilles Arbona (voc), Pascal Berne (b), David Chevallier (g), Michel Mandel (cl, bcl), Christophe Monniot (bs, ss, ts), François Raulin (p), François Thuillier (tu), Alfred Spirli (dms, perc)

Label / Distribution : Label Forge

Contemporain du cinématographe, du jazz naissant et de l’effervescence esthétique des premières années du XXe siècle, Erik Satie n’est pas que musique. C’est aussi un passeur fantastique, un personnage haut en couleur auquel les jazzmen, du Vienna Art Orchestra aux fameux Sept tableaux phoniques du label nato, ont toujours aimé rendre hommage. C’est dans cette veine que le pianiste François Raulin, le clarinettiste Michel Mandel et le contrebassiste Pascal Berne ont créé Sati(e)rik Excentrik, spectacle mêlant musique et théâtre que l’on retrouve aujourd’hui enregistré pour le label du collectif grenoblois La Forge-CIR, dont les trois musiciens sont les tenaces animateurs. Pour rendre hommage au petit bonhomme d’Arcueil, ils ont fondé un septet au côté duquel le comédien Gilles Arbona fait office de Monsieur Loyal, habitant les textes du maître. Car Satie, c’est un peu lui, entre comique et mysticisme. Un personnage fait de satire et d’excentricité, en résumé (« M. Satie aux courses », réjouissant pastiche signé Raulin).

Mais Satie, c’est un peu chaque musicien ; on retrouve son ombre aux pieds du percussionniste Alfred Spirli, dadaïste ubiquitaire qui aime à créer mille fantaisies sérieuses comme autant d’atmosphères. Ils se complètent partout, de la perceuse vibrionnante au fouet qui fend l’air, sans oublier la pulsation forcenée de la « Gnossienne n°3 ». A cette dernière, les ornements rock offerts par Raulin, soutenu par la ligne de basse impeccable de François Thuillier, vont comme un gant. Satie, c’est aussi le saxophoniste Christophe Monniot dans la « Gnossienne n°6 », entre folie et puissance, fragilité et obstination, qui donne une densité impressionnante à une pièce pourtant diaphane. Ici, les arrangements de Mandel font parfois songer aux envolées de Laurent Dehors. Est-ce dû à la présence de David Chevallier, qui fait parler la poudre sur de nombreux morceaux (« La journée du musicien »), quand il n’agrémente pas d’insaisissables éclats électriques la main gauche de Raulin (« Gnossienne n°1 ») ? Toujours est-il que le guitariste reste, avec Spirli, le grand coloriste de l’album.

Rien d’étonnant à voir Raulin et Mandel s’enticher du compositeur membre du Groupe des Six. On avait pu découvrir avec Tuyaux ou dans un disque solo portant sobrement son nom, que les musiques répétitives étaient au cœur du propos du clarinettiste. Dans « Brimades », sommet de l’album qui invoque « Vexations », le morceau de Satie où se répète huit cent quarante fois fois le même motif, chaque membre de l’orchestre s’empare d’un ostinato. Ces derniers forment ensemble une mécanique subtile où les paires s’encanaillent avant de s’entrechoquer comme autant d’engrenages. Quant au pianiste, il évolue dans la musique de Satie avec le goût pour les mélodies simples et entêtantes qu’il avait révélé sur son album solo. L’alliance de ces deux instrumentistes sur la célèbre « Gnossienne n°3 » a la douceur d’une courte méditation. Elle donne le ton à un disque très réussi, à la fois profond et espiègle. Pleinement digne de Satie, donc.