Scènes

Dramaticules : Dominique Fonfrède et Françoise Toullec au Regard du Cygne

Dominique Fonfrède et Françoise Toullec se sont réunies, ce 16 mars 2012, pour livrer quelques « dramaticules », formes brèves, burlesques et improvisées où la voix dialogue avec le piano.


Dominique Fonfrède et Françoise Toullec se réunissent pour trois dates (les vendredi 16, 23 et 30 mars 2012) au studio Le Regard du Cygne, en duo. Elles y jouent les « Dramaticules », spectacle constitué de brefs morceaux où voix et piano préparé improvisent dans un dialogue serré, vif et rapide. S’y dessine un univers à la poésie contrastée, mystérieux et drôle à la fois.

Dominique Fonfrède et Françoise Toullec ont réuni leur duo pour trois dates au studio Le Regard du Cygne. La première chante et improvise - on a eu plusieurs fois l’occasion de l’écouter au sein du du SPOUMJ, le SoundPainting Orchestra de l’Union des Musiciens de Jazz. La seconde joue du piano préparé et mène le groupe La Banquise. Ce sont chaque fois des saynètes plus ou moins narratives, plus ou moins abstraites. Pour un passage des Six Livres de Grabinoulor de Pierre Albert-Birot, lu à toute vitesse (le moment le plus narratif du spectacle), Dominique Fonfrède propose aussi une introduction au spectacle qui dérape, interminablement comique, et revient sans arrêt sur elle-même, ou bien d’imaginaires dialogues à l’absurdité douce-amère.

Au fil de ce spectacle, un univers se dessine, qui ressemble au nôtre autant qu’il s’en éloigne. A la fois burlesque et réaliste, cohérent et farfelu. On n’est jamais très loin de celui du Plume d’Henri Michaux, mais débarrassé de ses oripeaux surréalisants. Dominique Fonfrède évoque en quelques mots des scènes familières, conversations au détour d’une rue ou monologue intérieur. La langue y fait du surplace comme chez Gertrude Stein, ou s’y défigure en un grommelot burlesque, d’où ne ressortent que les inflexions, les accents, les intonations d’une langue rendue à son mystère.

La musique donnée ce 16 mars glisse sur le fil du rasoir et les ressources de l’improvisation sont toutes dirigées vers une célébration en mode mineur de la légèreté, de l’éphémère et de la fragilité. Rien n’est jamais lancé frontalement, tout emprunte des détours, avance à pas feutrés. Le jeu des deux musiciennes avance le plus souvent sur un registre de nuances qui va du mezzo piano au mezzo forte : la voix baisse parfois de volume ou la main droite plaque avec délicatesse des clusters qui ponctuent les pièces rythmiquement, en demi-teinte. Les gommes, les chevilles et les objets de toutes sortes que Françoise Toullec glisse dans l’instrument assourdissent le son, lui donnent une matité étrange ou bien font résonner les cordes lorsqu’elle les en ôte. La pianiste a à côté d’elle un ensemble d’objets de toute nature : un jeu de Mikado, des brosses à dents, des vis, des tuyaux métalliques, des cendriers d’aluminium compressés qu’elle fait rebondir sur les cordes. Il y a les compagnons de route de l’improvisation et ceux qu’elle découvre au cours de ses recherches et qu’elle met à l’épreuve pendant le jeu. Cet attirail hétéroclite, en plus d’ouvrir l’instrument aux fantaisies d’un bricolage sonore dont les règles sont à inventer sur le moment, démultiplie les sons que la musicienne peut tirer du piano et qui sont, comme elle le dira au cours du pot qui suivra le concert, « trop nombreux ». On risque vite de se perdre dans ce labyrinthe de sons et de vocables non identifiables, mais la musique s’y tend comme un fil d’Ariane pour guider l’auditeur.

Le duo est un exercice exigeant. Il réclame écoute mutuelle, précision du jeu, maîtrise sans faille de la conversation. Les deux musiciennes ont considérablement affûté leur art du dialogue. Distribuant d’étranges lieder dont les règles harmoniques auraient été réinventées, elles veillent sans cesse à la complémentarité de leurs interventions. Le tissage savant de la voix et du piano construit d’éphémères architectures sonores, chaque fois reprises du début, où les mots sont des notes et les notes de petites bulles de pensée. Mais cette échelle réduite au sein de laquelle elles interviennent ne doit pas tromper l’auditeur : derrière ce leurre, il y a une musique qui imprègne durablement l’auditeur et qui, en l’habitant, infléchit sa perception de ce qu’on appelle le son, les sons.