Chronique

Françoise Toullec

Un hibou sur la corde

Françoise Toullec (p).

Label / Distribution : Gazul Records

Faisons les présentations : Françoise Toullec est une aventurière, éprise de liberté et de grands espaces. Ce n’est d’ailleurs pas sans raison qu’une des formations qu’elle dirige a pour nom La Banquise, un groupe au sein duquel, aux côtés de la chanteuse Claudia Solal, on compte quelques Lorrains, soit dit en passant… Un quintet émoustillant dont le dernier témoignage discographique remonte à près de 10 ans maintenant et qu’on peut écouter aujourd’hui encore avec un plaisir intact.

Alors, quand la pianiste décide de se lancer dans une aventure solitaire en compagnie de son instrument fétiche, vous devinerez qu’elle ne saurait faire les choses à moitié : elle choisit pour partenaire un Opus 102, cet « illustre personnage » qui, comme son nom l’indique, compte cent deux touches, soit quatorze de plus qu’un piano traditionnel. [1] et des cordes parallèles sans entretoises. Un compagnon différent, léger et propice à une multitude d’expériences menées sur les formes sonores. Et puis, on le sait, cette artiste curieuse œuvre depuis près d’un quart de siècle au rapprochement – on aurait même envie d’évoquer l’idée de friction – entre musique improvisée, musique contemporaine et jazz, comme s’il s’agissait pour elle d’autant de molécules à agiter dans le tube à essais de son imagination. C’est dire que là encore, les espaces sont infinis. Oui, « Infiniment », comme l’une des dix-huit compositions, souvent très courtes, de son nouveau disque.

Autant le dire tout de suite, Un hibou sur la corde est de ces disques dont on ne fait pas le tour en deux ou trois écoutes. On lui doit un peu plus que ça, il faut plonger sans retenue au cœur de ses énigmes. Françoise Toullec ne balise pas son chemin de petits cailloux mélodiques composant une série de thèmes chantants qu’on siffloterait le temps d’une promenade, même lorsqu’elle a pour titre « Ballade en do ». Car chez elle, le piano – et plus encore l’Opus 102 – est un instrument total, un objet de corps-à-corps au format XXL, un orchestre aux couleurs changeantes à réinventer, un « multi-instrument » qu’il s’agit d’explorer dans toutes ses dimensions, ses moindres recoins, bois, touches et cordes confondues. Avec au besoin le recours à quelques agents externes tels qu’une baguette de xylophone, une ficelle ou un archet électronique, dont le nom « e-bow » est devenu, par glissement, le… hibou. Sur la corde, évidemment, à tous les sens de cette expression.

Alors vient le plaisir de se laisser surprendre par de brusques échappées, des fugues fugaces telles une « Comète », des notes retenues et plus graves qu’à l’accoutumée, des silences, des jeux d’ombre et de lumière. On se dit que c’est là l’occasion d’une rencontre avec de malicieuses créatures nocturnes dont on devine les mouvements furtifs, que les frappes parfois obsédantes sont peut-être tout simplement la perception de leur pouls. Entre-t-on au cœur d’une forêt mystérieuse à force de suivre « Le fil rouge » ? Fait-il jour ou nuit ? Sommes-nous seuls dans ce « Petit cirque » ? Est-ce la pluie qu’on entend au travers de ces sons en forme de gouttelettes ? La pianiste ne répondra à aucune de ces questions, elle suggère, cherche de son côté et laisse ouverte la porte de ses paysages oniriques. Qui acceptera d’y entrer aura la chance de vibrer au rythme de ses petites folies et pourra par la suite revenir dans le monde du quotidien, armé de ce supplément de légèreté qui fait la vie plus acceptable.