Chronique

Françoise Toullec / La Banquise

el[le]

Françoise Toullec (p), Claudia Solal (voc), Louis Michel Marion (b), Michel Deltruc (dm), Antoine Arlot (as, électroacoustique)

Label / Distribution : Gazul Records

Depuis plus de quinze ans Françoise Toullec œuvre au rapprochement stimulant et nécessaire entre jazz, musique improvisée et musique savante contemporaine. Deux disques déjà ont été enregistrés avec son quintet La Banquise : Histoire d’Onk et La Banquise en été. el[le] témoigne plus que jamais de son intérêt pour les musiques contemporaines non conventionnelles.

Si Françoise Toullec donne son impulsion au groupe (elle tient le piano et signe toutes les compositions, très pensées et écrites), La Banquise réunit des talents qui lui confèrent son identité propre. Claudia Solal (voix), Louis Michel Marion (contrebasse), Antoine Arlot (saxophone alto, électroacoustique) et Michel Deltruc (batterie) : autant d’itinéraires hors norme et d’horizons diffférents : Arlot se passionne pour le free rock, le free jazz et la composition électroacoustique, Marion s’est formé auprès d’improvisateurs (Joëlle Léandre, Vinko Globokar, Barre Philips, AMM) mais aussi de compositeurs contemporains (Xenakis, Scelsi, Nono), Deltruc s’illustre dans les cercles free depuis les années 80, tandis que Claudia Solal prête sa voix caméléon à tout ce que le jazz français compte d’électrons libres. Quant à la meneuse de jeu, son esprit est aussi improvisateur que savant (Gyorgy Kurtag, Jacques Lénot), si tant est qu’il faille opérer ici de telles distinctions.

el[le] est à la hauteur de ses promesses avec cette musique à la fois intelligente, intuitive et ludique (« Marel(le), sur une valse de Schubert », pièce construite sur le modèle de… la marelle), abstraite et incarnée en même temps que fantaisiste (« Les Merveilleux animaux planants de Bornéo »), poétique et narrative/figurative (« Saynètes »). En tout, huit pièces réparties en une quarantaine de plages dessinant un labyrinthe mental plein de surprises et de chausse-trapes. De tempérament plus rêveur que virulent, elles font la part belle à l’espace (« Effet de lentille », « L’Effondrement d’un nuage »), aux creux et aux esquisses. Le saxophone se fait parfois spectral, à la lisière du souffle, du son proprement dit et des notes plus franches (« Effet de lentille »). La voix passe du registre bruitiste et « onomatopéique » aux feulements où se racontent des histoires (« Saynètes »), la contrebasse rend tout ce qu’elle peut de sonorités étranges à l’archet tandis que la pianiste et le batteur égrènent sur ces subtiles dentelles sonores un jeu parcimonieux, élégant et cérébral.

La folie douce qui habite ce disque est éminemment réjouissante. Cette proposition pourrait rebuter de prime abord, se mériter à force d’écoutes répétées - il n’en est rien, car ses charmes surpassent aisément ses difficultés. Pourvu qu’on l’accueille dans un esprit d’ouverture, ce disque est un vrai bonheur, enfantin et cérébral à la fois.