Chronique

Emmanuel Bex Trio feat. Béla Bartok

Open Gate

Emmanuel Bex (org), Francesco Bearzatti (cl, ts), Simon Goubert (dm), Orchestre des Pays de Savoie, Franck Tortiller (lead)

Label / Distribution : Plus Loin Music / Abeille Musique

Quel est l’auteur classique, surtout européen, et hors baroque, qui n’a pas été traité, retraité, maltraité, trituré… voire magnifié (c’est tout de même arrivé, et parfois en douce – je pense aux amours secrètes de Claude (Debussy) et Miles (Davis), par l’entremise de Gil (Evans) il est vrai [1] ?

Bartók, compositeur et ethnomusicologue, a fait plus que s’intéresser au jazz (il a frayé avec Benny Goodman pour créer sa pièce Contrastes), mais l’inverse est moins flagrant alors que le jazz a en partie intégré les arythmies et les collages de musique populaire. L’injustice serait-elle réparée ici – et la barrière ouverte – avec la dernière œuvre d’Emmanuel Bex ? Ça s’appelle Open Gate, c’est presque entièrement « bartokien », et ça se compose d’un orgue Hammond (Bex), d’un souffleur (Francesco Bearzatti, sax et clarinette) et d’un batteur (Simon Goubert) plus deux douzaines de musiciens issus de l’Orchestre des Pays de Savoie emmenés par Franck Tortiller (vibraphoniste, ex-directeur de l’O.N.J.).

Avouons que pareil attelage ne se rencontre pas devant le premier Balajo venu. Il vaut mieux ne pas le lancer sur n’importe quel système d’écoute – par exemple l’auto-radio d’une « deuche » dans la montée du Ventoux. Puissance et subtilité étant de mise, il y a lieu de bien dégager l’ouïe. Oyez donc cette « Danse roumaine I » qui s’en va chaloupant comme pour une ballade profonde. L’orgue et le sax communient sur un mode quasi churchy. Et on en reprendra une bonne lampée pour la II. Le trio se cabre face au « Mikrokosmos II » – rythmes des Balkans, clarinette presque klezmer. La cymbale rappelle tout le monde à l’ordre jazzistique et Bex embraye dans l’envolée virevoltante.

Passons au plus grave avec le « Concerto pour trio », dont la version III déchaîne l’orage symphonique. Là, mettre la gomme pour rendre honneur au souffle tellurique. Harmonique puissante, rythmique d’enfer. Tiens, une flambée de Bernstein (West Side Story) – à moins que celui-ci ait également puisé chez son prédécesseur (chronologiquement parlant). Ça sonne, bon sang, et ça pulse !

Mais il faut déjà se quitter. En beauté et en recueillement avec ce « Pour Alain » non purement bartokien – sans doute un hommage post mortem, mais vraiment pas triste ! Tous sur le pont et que ça saute ! Un disque épatant, au bord du risque tendu. Une preuve de jubilation collective – on pense surtout aux pupitres classiques lâchés comme des chevaux fous. J’avais prévenu : sacré attelage !

par Gérard Ponthieu // Publié le 12 décembre 2011

[1Foin de pédantisme : je me suis laissé dire que l’introduction de So What, attribuée à Gil Evans, était basée sur les premières mesures de Voiles (1910), mais l’écoute comparée me laisse perplexe. Tentez vous-même l’expérience !