Scènes

A Vitrolles, l’affectueux duel de Jazz en scènes

Moulin à jazz de Vitrolles. Festival « Jazz en scènes », 10 décembre 2011. Faire découvrir des musiciens prometteurs. Et vivifier le paysage du jazz...


Moulin à jazz de Vitrolles. Festival « Jazz en scènes », 10 décembre 2011. Quelle belle idée : amener les adhérents de la Fédération des scènes de jazz et musiques improvisées à croiser leurs coups de cœur ! Faire découvrir des musiciens prometteurs. Et vivifier le paysage du jazz. C’est en effet ce que permet chaque année – et pour la 13e fois – ladite FSJ, qui rassemble désormais 28 lieux. Ainsi, durant ce dernier week-end, 55 formations regroupant 176 musiciens ont-ils pu tourner dans tout l’Hexagone jazzo-compatible.

Au Moulin de Vitrolles, Claude Gravier (le meunier programmateur) avait jeté son dévolu sur le quartet Farm Job, venu de Toulouse sur recommandation du Pavé dans le jazz. Le Moulin, de son côté, avait promu Méandres, qu’il avait accueilli en résidence de création lors du Charlie Jazz Festival 2011.

Encore quelques explications sur l’opération, pour bien en comprendre le montage et en situer tout l’intérêt : subventionnée notamment par le ministère de la Culture, l’Adami, la Sacem et la Spedidam – chacun y reconnaîtra les siens –, la « Fédé » répartit son financement entre ses adhérents ; elle prend ainsi en charge les cachets et frais de déplacement des musiciens invités. Par conséquent, la scène d’accueil peut assurer sa programmation habituelle et offrir à son public une soirée doublement enrichie. Il n’est pas inutile de faire un détour par les conditions de production de la musique en général, et du jazz en particulier, conditions bien matérielles qui ne relèvent en rien de l’opération du Saint-Esprit.

Farm Job © Gérard Tissier 2011

L’intérêt patent de cette « Nuit » vitrollaise résidait précisément dans cette rencontre entre deux générations de musiciens qui se valorisent réciproquement, pour leur propre bénéfice artistique – et amical –, autant que pour celui du public, l’autre indispensable partenaire. En effet, on a pu apprécier à cette occasion deux formes artistiques aussi proches que subtilement nuancées. D’un côté, quatre trentenaires (plus ou moins) travaillant à pleine terre un jazz généreux, inventif, tout en finesse et fougue… Et de l’autre, eh bien… les mêmes élans, au moins aussi fougueux, mais un peu plus (disons deux fois) lustrés par les années et l’expérience : entre Farm Job et le duo Léogé/Padovani (six musiciens qui vivent à Toulouse), tout juste un interstice (plus l’entracte) distinguant les qualités de deux mondes en mouvement dans le même univers - c’est le mot juste, celui d’où jaillit l’universel de la musique.

De Farm Job, on ne pourra dire plus de bien que la chronique de leur disque, Area. Ces quatre-là, qui ont aussi des vies séparées, se sont trouvé un son bien à eux qu’ils savent nourrir des meilleurs ingrédients. Rythmique solide pour le fond, richesse mélodique et harmonique pour la forme, l’une et l’autre articulée à d’originales compositions. Le jazz surgit en eux, qui le fréquentent et le tutoient – et vont jusqu’à l’« aventurer » aux frontières des sonorités autres, à la croisée des voies contemporaines. Fabien Duscombs (dm), Maxime Delporte (cb), Robin Fincker (cl, ts), Julien Touery (p, claviers) : joli quarteron de « fermiers » promis aux plus belles moissons en terre de jazz.

Léogé/Padovani © Gérard Tissier 2011

Philippe Léogé (p) et Jean-Marc Padovani (ts, ss), eux, s’ils n’en sont pas à leurs premières récoltes [[Voir la dernière en date, Angel Eyes], cultivent d’ardeur et d’amour cette musique subtile et qu’envoûtante, lourde de… légèreté, légère… de profondeur et de sentiment. Piano et sax présents là aussi comme en première partie, mais autrement célébrés. Jeu subtil entre deux grands dialoguistes et arrangeurs, sublimant les textes du répertoire comme ils s’adonnent aux joutes de l’improvisation. Sans doute faut-il aussi le « nombre des années » pour atteindre une telle entente, comme au sein d’un couple, s’agissant ici de ce genre si particulier et risqué que constitue le duo musical. Qu’ils se rejoignent à l’unisson de phrases complexes ou s’éloignent à peine sous l’étincelle de subtiles harmoniques. Magnifique.

Vraie réussite que cette « Nuit » ! La prochaine dans un an. On se consolera vite avec la suite annoncée des concerts au Moulin à jazz de Vitrolles, comme ailleurs autour des 27 autres scènes de la Fédération.