Chronique

Ensemble 5

Live - Featuring Elliott Levin

Robert Morgenthaler (tb), Elliott Levin (ts, fl, voc), Rato Staub (p), Fridolin Blumer (b), Heinz Geisser (perc)

Label / Distribution : Leo Records/Orkhêstra

Le percussionniste zurichois Heinz Geisser anime depuis cinq ans son Ensemble 5. Le numéro est important pour lui : lorsque le saxophoniste Vincent Daoud quitta le groupe, le quartet continua à compter jusqu’à cinq… Et c’est au cinquième album que l’orchestre accueille de nouveau un ténor, avec l’invitation faite à Elliott Levin, ogre hirsute d’un free jazz avide de poésie, qu’on avait pu entendre avec la Lisbon Connection. On retrouve d’ailleurs cette approche agressive et grommelante qui se fracasse avec méthode sur une base rythmique surchauffée (le milieu de « Moods & WIMS - Of Jazz-mined Hymns »). On serait tenté de penser que l’axe va céder sous ses assauts répétés, assénés comme s’il s’agissait du coup de grâce, mais il n’en est rien. Il arrive aussi à la contrebasse de Fridolin Blumer, jeune musicien à suivre, de s’échapper pour laisser la frappe sèche et entropique de Geisser en face-à-face avec l’invité. Un duel aussi intense qu’abstrait.

Dans la redoutable et imprévisible mécanique d’Ensemble 5, joyau suisse couvé par Leo Records, c’est la virulence de chaque individualité qui donne à l’expression collective la puissance d’une force centripète. Le frottement incessant, voire obsessionnel, de Levin avec le tromboniste Robert Morgenthaler est ainsi le dispositif de tension central de ce disque qui pousse l’auditeur dans ses derniers retranchements, parfois franchement acculé par le déluge. Dans le dernier tiers du premier morceau, on est hanté par les progressions chromatiques plaquées par le pianiste Rato Staub, habituellement plus versé dans la musique contemporaine. Bien sûr, on peut avoir le sentiment que ce dernier est submergé par ses compagnons ; son travail de sape, forcément souterrain, est la clé de voûte de la rage environnante.

Ce live enregistré à Berne est séparé en deux titres totalement improvisés. Ils sont longs de plus d’une demi-heure et font feu de tout bois. L’explosivité est partout, même dans des moments plus calmes, voire hésitants sur « The Hearts Of The Eco-Euro-Pean-Omic Soul ». Dans ce contexte, c’est le tromboniste qui tire son épingle du jeu. Ses effets de coulisse, aussi précis que furtifs, sont certainement le point fort d’un disque où l’on aurait sans doute aimé que Levin, qui introduit chaque titre de quelques spoken words, investisse davantage le chaos ambiant par la raucité de ses mots.