Imbert / Rampal / Fenichel / Elwood
The Alppalachians
Raphaël Imbert (saxs, bcl, cla), Marion Rampal (voc, cla), Pierre Fenichel (b), Paul Elwood (voc, banjo)
Label / Distribution : Durance/Orkhêstra
Imaginez une faille. Pas une une faille spatio-temporelle où l’on se retrouverait face à ses ancêtres, mais une faille tectonique qui déciderait un jour que la dérive des continents a assez duré et qu’il serait temps d’en revenir à Pangée. Que l’océan est décidément bien surfait, avec ses poissons morts et ses îles de déchets plastiques à perte de vue. Cette zone de convergence créerait de gigantesques montagnes ; c’est exactement à cela que nous convie le banjoïste Paul Elwood, en provenance des roches magmatiques du Kansas, en compagnie du saxophoniste Raphaël Imbert et de son trio, directement issu de la compagnie sud-alpine Nine Spirit. Il y côtoie la bouillonnante chanteuse Marion Rampal, en terrain familier dans ce joyeux mélange de jazz et de folk qui abolit les genres comme les frontières, et la contrebasse sèche de Pierre Fenichel.
Enregistré en 2008 dans l’église Haute de Banon, dans la région de la Durance qui donne son nom au label, The Alppalachians réalise l’enclise de deux massifs montagneux, comme une illusion de rift. Plusieurs figures s’y croisent, notamment Joni Mitchell avec la reprise d’« Urge For Going ». Rampal la transcende avec une douceur veloutée, soutenue par la clarinette basse et les chœurs d’Elwood. Ce compositeur américain, dont on peut apprécier la virtuosité au banjo, est aussi excellent chanteur, par exemple sur « It Takes A Lot To Laugh, It Takes a Train To Cry ». Dans cette visite du côté de Dylan, Imbert submerge la « Old Times Music » de fantômes d’Ayler, dont on retrouvera trace dans la saisissante réinterprétation de « Holy Family. »
Les vieilles pierres brutes de l’église de montagne appellent le recueillement. Il imprègne le spirituel « Man Came To Jesus », où l’on est emporté par la profondeur soul de la chanteuse, mais aussi le duo de voix du « Lorena » final, plein de nostalgie. Ce dernier morceau pourrait faire songer au travail de mémoire qui hante depuis des années le pianiste Bill Carrothers. Mais si la volonté de transmission et de partage est par moment la même (« Freight Train »), la rencontre, la combinaison infinie des diversités est chevillée à la musique de Raphaël Imbert et de cette formation dont le sous-titre, non dénué d’humour, est « Banjo Jazz & Free Bluegrass ». La douce poésie de « Petite sauge couleur garance » en est un brillant précipité, qui invente dans l’instant un folklore imaginaire décrivant une rencontre inédite entre massifs montagneux. Au sommet, il va sans dire.