Scènes

Eric Le Lann/J.-M. Ecay play Jobim live !

Paris, le New Morning - 6 octobre 2005


Pari risqué mais réussi. Faire jouer un duo intimiste dans une grande salle.

Heureusement, ces deux messieurs ne sont pas nés de la dernière pluie. Ils arrivent sans dire un mot, s’asseoient et jouent « Insensatez ». Le son rauque de la trompette tranche sur celui, humide, de la guitare électro acoustique. Le Lann griffe le silence alors qu’Ecay l’habille de velours. Chaud et froid se mêlent mais le résultat n’est pas tiède. Le public est attentif. Les mouches n’osent plus voler. Personne n’applaudit les soli de peur de briser la magie de l’instant créé.

Sur « Luisa », Eric met la sourdine. Chaque note est pesée, pensée avant d’être jouée. Rien d’inutile et de superfétatoire dans cette musique.

Pour « Ligia », Le Lann enlève la sourdine. Un Breton et un Basque jouent la musique d’un Brésilien. Ce qui les réunit, c’est l’Océan Atlantique, ses vents, ses courants et ses vagues. Le Lann et Ecay recréent cette musique avec le respect et la distance nécessaire de musiciens à musicien.

Le Lann remet la sourdine. Avec elle il a l’intelligence de ne pas sonner comme Miles Davis, mais dès qu’il la met à l’embouchure de sa trompette, je ne puis m’empêcher de songer à lui.

Vient alors « Les eaux de Mars » comme les chante Georges Moustaki. L’attention du public se disperse. La beauté existe en soi mais seuls certains sont à même de la reconnaître comme disait à peu près Kant

La table voisine de la mienne comprend un Brésilien et deux Brésiliennes qui écoutent et apprécient intensément. Les notes de Le Lann dansent sur le fil du rasoir.
Pour « Desafinado », ils jouent sur un tempo plus lent que l’original, désossant le morceau, l’exposant dans la splendeur de sa nudité. Mon voisin brésilien bat la mesure avec son gobelet sur la table.

En restant dans l’esprit du concert, mais en changeant de répertoire, ils jouent « Estate » (« Un été ») pour Claude Nougaro.

Retour à la sourdine et à Antonio Carlos Jobim. Le Lann quitte la scène, laissant Ecay face au public. Ce dernier en profite pour prouver qu’il se débrouille très bien seul, ce dont nous ne doutions pas. Puis Eric revient avec une partition et reprend comme si de rien n’était.

Pour finir en beauté, une « Meditation » de Jobim nous enchante par ses dernières notes qui, distillées comme un vieux cognac, d’abord douces, laissent un souvenir fort, très fort.