Scènes

Anglet Jazz, festival testé positif

Retour sur l’édition 2020 du festival de jazz d’Anglet


Laurent Coulondre trio © Pierre Vignacq

Une édition 2020 maintenue en totalité malgré la crise sanitaire et tout ce qui va avec. « Anglet 20 » a eu raison de « Covid 19 » et c’est tant mieux.
Anglet fait partie de la poignée de festivals qui n’a pas mis l’édition 2020 entre parenthèses. On comprend aisément qu’il a fallu une sacrée dose de courage à l’ARCAD, l’association organisatrice, pour maintenir coûte que coûte cette édition.

D’ailleurs les musiciens qui ont foulé les planches du théâtre de Quintaou, ont tous souligné la chance qu’ils ont eue. Marc Tambourindéguy, Directeur artistique du festival, s’en est satisfait lui aussi. Non sans évoquer les difficultés qui accompagnent une telle décision. Car si le report ou l’annulation d’une édition ne se fait pas sans douleur, le maintien dans des conditions sanitaires fortement contraignantes n’est pas dénué d’acrobaties, elles aussi piquantes. On devine en effet que dans les coulisses du festival ça a turbiné plus durement que d’habitude.

Dans la salle nous sommes donc tous masqués, assignés à une place durant les concerts et les entractes afin d’éviter les longues opérations de désinfection. La jauge a été réduite pour respecter les exigences de cette surprenante figure de style qu’est la distanciation sociale. L’équation est complexe : contribuer à maintenir la vie artistique et culturelle malgré ces contorsions, avec les incidences budgétaires d’une jauge réduite et un public possiblement moins enclin à sortir pour un événement culturel ouvert à tous. Dans cette situation, quand les pouvoirs publics répondent présents, on salue bien bas et tout haut ce soutien, ce que ne manquent pas de faire les organisateurs Marc Tambourindéguy et Agnès Zimmermann, en direction notamment de la municipalité d’Anglet.

Joel Hierrezuelo © Pierre Vignacq

Pour les spectateurs, tout commence avec le trio piano, basse, batterie de Dexter Goldberg. Le concert plaît. Il est pourtant un poil timide. Est-ce constitutif du groupe ? Peut-être. Reste qu’entre l’incipit « Out of Nowhere » et, en clôture, « Take Five » et « Tell Me Something New », on a toute une série de compositions du groupe, souvent brèves, qui résonnent comme autant de scénettes de la vie ordinaire. « RER B », « Camille » ou encore « One for Ahmad » - « un hommage à l’un des plus grands pianistes de jazz encore vivants », dixit Dexter Goldberg - témoignent de l’expression musicale, simple et sans artifice, des choses de la vie qui comptent. Le pianiste, en trio avec Kevin Lucchetti et Bertrand Béruard, a fait le choix de partager ces émotions. On prend.

Le plateau est rapidement transformé et la scène prise d’assaut par le quintet de Joel Hierrezuelo. Autre formation, autre esthétique, autre univers. Le quintet, organisé autour du guitariste-vocaliste-chanteur, nous emmène à Cuba. C’est riant, coloré, très évocateur aussi. D’un mot, on dira extraverti. Le line-up y contribue, bien sûr, car on compte en plus du toujours sublime Pierre de Bethmann, une superbe paire rythmique composée de Felipe Cabrera et Lukmil Pérez. Et aux côtés de ce beau monde - et pas seulement sur le papier - on trouve le trompettiste Roman Didier qui pour cette occasion remplace, au pied levé ou presque, Sylvain Gontard empêché de filer les notes sur la côte basque. Son jeu est éclatant et si la très bonne tenue de ce concert ne tient pas exclusivement à sa participation - ce serait faire injure aux autres musiciens - il y a fortement contribué.

Leonardo Montana © Pierre Vignacq

Le lendemain, c’est encore Cuba qui s’invite à Quintaou. Le théâtre, feutré comme il faut, s’y prête à merveille. Mais surtout, on est subjugué par l’extraordinaire talent, par la classe, la musicalité de ce sextet. Le groupe est doublement emmené de main de maître par le saxophoniste Irving Acao et le trompettiste Carlos Sarduy. Ces deux-là, superbes capitaines, sont à la barre d’un navire, fort beau lui aussi, puisqu’ils partagent la scène - plus qu’ils ne sont accompagnés, tant la formation est une entité irréductible - avec l’impressionnant Leonardo Montana qui multiplie les chorus avec l’aisance des très grands, Felipe Cabrera, Frank Durand et le percussionniste Inor Sotolongo. La bande des six déroule avec une aisance déconcertante une musique complexe faite de superbes mélodies. C’est d’autant plus impressionnant que trois d’entre eux ne font pas partie d’El Comité et que la balance est en fait leur seconde répétition. Esthétiquement, c’est fondamentalement doux, même lorsque les moments sont toniques. Irving Acao dira « on fait cette musique avec amour pour vous tous ». C’est exactement ça et le public ovationnant, debout et insistant, ne s’y est pas trompé.

Laurent Coulondre © Pierre Vignacq

Une plus grande affluence est au rendez-vous le samedi et le placement s’apparente quelquefois à un Tetris grandeur nature. Placer les spectateurs en neutralisant un siège entre chaque groupe de personnes est fastidieux. Tant mieux puisque c’est le signe d’une soirée réussie. Reste que les placeuses s’y échinent courageusement.

C’est le trio de Laurent Coulondre qui s’installe le premier sur scène. On tremble quelque peu car le projet est sacrément ambitieux, osé pour tout dire : on ne s’attaque pas à un hommage à Michel Petrucciani sans risquer la pâle imitation, surtout lorsque des deux côtés de l’hommage se trouvent deux pianistes. Sauf que Laurent Coulondre est un prodigieux musicien et son répertoire si intelligemment monté qu’il évite la comparaison avec son aîné. On ne sera pas dans la flagornerie en disant qu’ici une excellence pianistique rend hommage à une autre excellence pianistique. D’autant plus que l’hommage est finement multiforme. Le trio - Laurent Coulondre, Jérémy Bruyère et André Ceccarelli - tantôt reprend des compositions de Michel Petrucciani : « Colors », « Looking up » ou encore, clin d’œil à la chienne pétomane de Charles Lloyd, « She Did It Again », tantôt joue ses propres compositions car il y a du Petrucciani dedans - c’est notamment le cas de l’explicite « Michel on My Mind » - tantôt revisite des morceaux que Petrucciani adorait - pour le coup « Les Grelots » de ce fameux compagnon de route que fut Eddy Louiss.

C’est un autre trio qui leur succède, en l’occurrence celui que constituent André Charlier, Benoît Sourisse, deux compères qui jouent ensemble depuis belle lurette, et Louis Winsberg. Eux aussi proposent un hommage à un musicien qui a fortement compté. Et une fois de plus c’est un sacré tour de passe-passe qui est opéré. Car, si l’hommage est à Michael Brecker, on ne trouve pas trace d’un saxophone dans le trio. Carrément fortiche et, de « Minsk », une composition du pianiste Don Grolnick qui a longtemps travaillé avec Michael Brecker, à « Oops », c’est un univers de jazz-rock et de fusion qu’avaient concocté ces trois musiciens.

Soul Jazz Rebels © Pierre Vignacq

Le dernier jour, tout se passe dans le domaine de Baroja, un superbe parc qui avait subi les averses répétées de la veille et sans plan B en intérieur pour cause, une fois encore, de Covid. Jusqu’au bout ou presque, les organisateurs ont ferraillé afin de trancher quant au maintien des trois concerts de cette après-midi. Une scène non couverte, une installation chronophage, deux balances et trois concerts nécessitant une longue éclaircie, on voyait chaque jour le staff pianoter sur leurs smartphones comme autant de danses du soleil. Il y eut quelques gouttes. À peine. En tout cas pas suffisamment pour rendre les armes et tant Maaj 5tet, que les Soul Jazz Rebels - sans Tonton Salut ni Cyril Amourette pour cette occasion - que le trio venu en voisin du guitariste Jean-Marie Ecay ont pu donner à Baroja les notes et les sons qui y inaugurent chaque année l’automne. La vie musicale avait repris à Anglet. Ouf !