Anglet Jazz Festival
Compte-rendu de la deuxième édition
« Jazz Sur l’Herbe » est devenu « Anglet Jazz Festival » depuis l’an dernier. Une montée en grade, en durée, en programmation, qui se veut pérenne et mérite de l’être.
Depuis huit ans, avec une forte détermination, l’association Arcad propose chaque fin d’été un festival de jazz entièrement gratuit, dans le parc Baroja, à Anglet. Les Pyrénées-Atlantiques ne font pas partie des départements les plus actifs dans ce domaine - si l’on excepte bien sûr « Des Rives et Des Notes » à Oloron - et c’est donc avec bienveillance et attention que l’on a suivi les développements du projet, qui s’est vu proposer l’an dernier de devenir « Anglet Jazz Festival » avec l’aide de la municipalité et l’accueil de concerts payants dans la très belle, et toute nouvelle, salle du théâtre Quintaou.
Cette année donc, la manifestation (deuxième du nom) s’est déroulée sur trois jours ; elle a inclus résidences et « master-class » et a fait le plein de public à la fois dans les deux soirées payantes et l’après-midi de jazz en plein air, qui avait un côté « jazz au Campus » tout à fait délicieux. Pour un peu, on aurait cru voir Dave Brubeck sur la grande scène… Habituée du festival, Leila Martial a démarré la soirée du vendredi avec son « Baa Box », dont il ne m’avait jamais paru aussi évident qu’il se nommait ainsi pour cause d’identification de la chanteuse à ces escaladeuses de rochers que sont les chèvres ! « Je bêle, donc je suis », reprend et assène Leila à plusieurs reprises dans une formule nouvelle à trois qui a laissé en route certaines peaux anciennes, pour muer vers de nouvelles, pas encore totalement installées. Très bel accueil public, vif succès très mérité par l’engagement, la prise de risque, la qualité musicale.
Le trio de Jean-Marie Ecay suivait - avec Jean-Michel Charbonnel à la contrebasse et André Charlier à la batterie - dans un répertoire de compositions et de standards où le swing s’est glissé en deux ou trois occasions de façon excellente. C’est sans doute après un Tricotism (Oscar Pettiford) bien enlevé que la chose s’est mise en route, et a disparu ensuite aussi imprévisiblement qu’elle était apparue. Allez savoir pourquoi ça prend, et pourquoi ça retombe ?
Si l’événement médiatique du festival résidait dans le concert de Dhafer Youssef, le point d’orgue musical se situait plutôt du côté du Stéphane Kerecki Quartet. Avec Guillaume de Chassy en lieu et place de John Taylor - décédé pendant l’été - et Antonin-Tri Hoang remplaçant Émile Parisien, occupé ailleurs dans le monde. Ce quartet voué aux musiques de la « nouvelle vague » (Godard - Solal - Delerue et autres) aura laissé un superbe souvenir aux spectateurs et auditeurs, comme un exemple de ce que peut le jazz d’aujourd’hui quand il assume à la fois sa tradition et son innovation. Au saxophone alto, Antonin-Tri Hoang a pleinement convaincu, par une manière à la fois posée et pleine de risques, un son droit, un phrasé très original, un sérieux que rien ne parvient à démentir. Comme Guillaume de Chassy se prend petit à petit au jeu, et que Stéphane s’entend à merveille avec Fabrice Moreau, ça circule bien, et ça donne de l’aise à la musique.
Dhafer Youssef, c’était pour moi une découverte, assez heureuse dans un premier temps par la douceur de la voix, le sens de la mélodie, et l’honnêteté du propos, qui revendique un répertoire de chansons originales sans grand lien avec une supposée « tradition » tunisienne. Dans un second temps, je me suis un peu lassé devant une certaine répétition, et quelque peu interrogé devant la « standing ovation » déclenchée par ce spectacle. Encore une fois, c’est le public qui s’applaudit lui-même devant l’excellence de ses choix. Seule supposition possible…
Brillamment ensoleillée, la journée sur l’herbe du dimanche aura permis des rencontres, et d’écouter un bien bon concert avant de m’en retourner vers la capitale girondine. Au rang des rencontres, celle avec l’ami Philippe Vincent, qui fonda naguère le label IDA (La Note Bleue, les premiers disques de Louis Sclavis, etc.). Bayonnais depuis quelques années, toujours actif autour du jazz ( dans Jazz Magazine) et toujours prêt à faire partager les vinyls et autres CD qui le gênent aux entournures par manque de place. D’où mon ravissement à trouver sur son stand quelques perles fines. Grand plaisir aussi à bavarder avec la violoncelliste et chanteuse du duo Las Hermanas Caronni, qui doivent se produire bientôt à Bordeaux (leur ville de résidence). Et enfin, last but not de Liszt (clin d’œil à François Corneloup), le premier concert de l’après-midi aura permis à tous d’écouter un quartet vraiment excellent, qui joue sous le nom de la chanteuse Marie Carrié, mais permet d’entendre aussi l’orgue de plus en plus grondissant et grandissant d’Hervé Saint-Guirons, la guitare fine et scintillante de Yann Penichou et la batterie diaboliquement subtile de Stefano Lucchini. Quant à Marie Carrié, elle fait entendre une voix juste, bien travaillée, et fort joliment timbrée. Elle aime les standards, les chante bien, se risque avec bonheur dans le répertoire latin et avoue une identification manifeste à Carmen McRae, dont elle reprend What A Little Moonlight Can Do. Ce n’était pas encore exactement le moment, mais on y croyait quand même.