Chronique

Eric Watson

Memories Of Paris

Eric Watson (p)

Label / Distribution : Out There / Out Note

Après New York dessiné par Kenny Werner, c’est également au piano solo qu’Eric Watson signe Memories of Paris pour le compte de la collection Jazz and the City dirigée par Jean-Jacques Pussiau, un fidèle du pianiste américain basé en France. En neuf plages en forme de suite pour une évocation très personnelle d’une ville qu’il a adoptée, Watson développe avec élégance son jeu ample sur le désormais incontournable Stenway du studio de La Buissonne, enregistré par le non moins indispensable Gérard de Haro.

Sous ses doigts, Paris quitte ses lumières pour s’évoquer en clair-obscur, à l’heure où les balades solitaires font voguer l’imagination et rêver d’une métropole sans ne jamais tomber dans le cliché un peu galvaudé de l’Américain à Paris. C’est le piège à éviter dans ce type de collection, qui peut très vite tourner à l’exercice pénible de l’exotisme ou du cadre strictement topographique de l’inspiration musicale. Fort heureusement, ici, on croise plus sûrement l’esprit de Mingus (évoqué en filigrane sur le très beau « Smoking Dog and Sinner Cat » [1]) ou plus directement cité dans la « Rue des trois frères » (où on peut humer des fragrances de « Goodbye Pork Pie Hat ») que des bateaux-mouches. La musique est suffisamment dense pour, loin des cartes postales, modeler au contraire une cité à sa mesure.

Watson traverse en toute légèreté un Paris peuplé d’esprits où le temps s’est arrêté. Quand il déambule dans la longue saignée pluvieuse de la « rue des Martyrs », il n’y a plus de « seringues vidées goulûment dans des bras sans avenirs », et les bars-tabac ont encore le rideau baissé. Son solo qui prend le temps de la respiration, de la note suspendue et de la vibration est une errance du petit matin d’un gris profond qui ne serait pas terne, mais revêtirait toutes les nuances de la pénombre. L’atmosphère est empreinte d’une certaine nostalgie qui plaira au voyageur solitaire habitué aux errances sans autre but que la ville elle-même. Lorsque que, parvenu au terme de sa déambulation, le pianiste arrive à la « Cité des Fleurs », le propos se fait plus lumineux mais tout aussi impressionniste, évoquant la douceur et la quiétude des beaux quartiers fleuris, laissant toujours de côté les tumultes de la cité, jusqu’aux « Clairières » parcimonieuses et épurées qui referment l’album dans l’éther des souvenirs. De loin en loin, quelques rumeurs urbaines traversent le filtre, ce groove abstrait de la main gauche qui ouvre « New York Moxie » comme pour mieux souligner le besoin de mystère et de bonheur inquiet. Memories of Paris fait plus sûrement visiter les tourments intérieurs d’un grand soliste que les sentiers rebattus de la butte Montmartre. Il n’y aurait guère que les agences de voyage pour s’en plaindre…

par Franpi Barriaux // Publié le 14 décembre 2010

[1Le chien qui fume et le chat qui… pèche (on appréciera le jeu de mot) évoquent des noms d’anciens cabarets jazz, mais aussi, comme nous le révèlent les précieuses notes de pochette de Michel Arcens « The Black Saint and the Sinner Lady » de Mingus…