Chronique

Rajna Swaminathan

Of Agency And Abstraction

Rajna Swaminathan (perc), Ganavya Doraiswamy (voc), María Grand (ts), Amir ElSaffar (tp), Anjna Swaminathan (vln), Miles Okazaki (g), Stephan Crump (b)

Label / Distribution : Biophilia Records

C’est un bien étrange et fascinant objet auquel nous faisons face. Cela ne tient pas seulement à la pochette origami dont le label Biophilia Records s’est fait une spécialité : cela fait maintenant quelque temps qu’il a livré son secret ; le contenu est bien plus enivrant que le flacon. Pour un premier album, Rajna Swaminathan nous transporte dans un univers si personnel qu’on peine à en délimiter les frontières. Empreint de la musique traditionnelle carnatique de l’Inde du sud, Of Agency And Abstraction est l’occasion d’entendre la joueuse de mridangam (tambour traditionnel bien connu des amateurs d’Aka Moon par exemple) dans un autre contexte que l’orchestre de Vijay Iyer, où elle a été remarquée. Dans « Departures », où la chanteuse Ganavya Dorayswami vient donner une couleur spirituelle supplémentaire, le rythme complexe de Swaminathan se frotte à la trompette d’Amir ElSaffar et au ténor de Maria Grand. Ce n’est pas de la fusion, plutôt une recherche d’équilibre.

On constate d’ailleurs que le percussionniste s’est adjoint sa sœur Anjia Swaminathan qui, au violon, fait à la fois office de pointe d’un triangle centré sur la musique traditionnelle, mais aussi de point de passage et de croisement avec les musiciens new-yorkais qui complètent le septet Rajas Ensemble. C’est notamment le cas du contrebassiste Stephan Crump (lui aussi pensionnaire des orchestres d’Iyer) sur le très beau « Peregrination » où l’échange entre les deux archets, amalgamés par le tambour, reste un numéro d’agilité et de grâce qui ne penche jamais davantage d’un côté que d’un autre.

Il en va de même avec le guitariste Miles Okazaki qui, en restant au service des sœurs Swaminathan, oublie sa propension habituelle au bavardage. Ainsi, sur le très beau « Retrograde », il tient une ligne mélodique simple, toujours cette notion de point tendu qui libère toutes les déviations alentours, et permet notamment aux soufflants d’offrir beaucoup d’espace au Mridangam. Of Agency And Abstraction est un disque qui livre ses secrets à mesure qu’on le laisse nous pénétrer. Le mystère est épais, ce qui ne le rend pas moins charmant, pour peu qu’on lui laisse le temps d’imprégner l’atmosphère de son aura.

par Franpi Barriaux // Publié le 24 novembre 2019
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