Entretien

Erik Truffaz

Erik Truffaz aime mélanger les genres en se souciant peu des étiquettes...

Erik Truffaz, trompettiste franco-suisse qui situe son jazz entre rock, drum’n bass et musiques ethniques, aime mélanger les genres en se souciant peu des étiquettes qu’on lui colle un peu vite. Pour Citizen Jazz, il fait le tour de ses récents projets.

  • À la fin de l’année dernière, tu as donné une série de concerts à Paris, dans différents lieux, durant une semaine. Quel en était l’objectif ?

D’abord, l’envie de rejouer dans de petites salles. Dans des clubs. De revoir quelques idées, mais aussi de remettre ene avant le disque Arkhengelsk, car son lancement avait été un peu bâclé. On a sorti un coffret contenant plus de titres et on a décidé de jouer une semaine à Paris. Au lieu de faire l’Olympia ou La Cigale où tu as 2 800 personnes d’un coup, on a décidé de faire des petites salles et de profiter ainsi de contextes différents. On a joué tantôt avec Mounir, tantôt avec Ed Harcourt. On a joué des standards, j’ai invité Oxmo Puccino, Sly Johnson etc… Et le résultat était plutôt chouette. On en a profité pour filmer tout ça dans le but de sortir, peut-être, un film sur le groupe.

  • À se produire dans des salles plus petites, on retrouve des sentiments de jeu différents ?

C’est assez grisant de sentir les gens.

  • Mais ressens-tu une autre façon de jouer ? Y a t il plus d’interactions, d’improvisations ?

Ce n’est pas vraiment ça. Comme on joue avec l’énergie du public, beaucoup plus proche de nous, ça fait pus « repas de famille ». Surtout au Sunset, où il y a 200 personnes - on aime bien ça. Bien sûr, le New Morning c’est quand même 4 à 500 places… Il faut donc relativiser l’expression « petites salles ». Seuls le Sunset et le Sunside étaient petits.

Erik Truffaz © Jos L. Knaepen/Vues Sur Scènes
  • Et le résultat ? Les salles étaient remplies ? Car on imagine que ça ne doit pas être évident, même à Paris, de remplir, six soirs de suite, six salles différentes…

C’était chaque fois complet, et de surcroît, on a dû refuser du monde. On aurait pu refaire un New Morning supplémentaire.

  • Il y a toujours les deux groupes « officiels » de Truffaz ? Le quartette et le Ladyland ?

Ici, pour cette série de concert, il ne s’agissait que du quartette.

  • Oui, mais il y a avait quand même Mounir Troudi, ainsi que d’autres mélanges ?

À la base, c’est Christophe qui devait venir. Mais il est entré en studio à cette période pour enregistrer son nouvel album.

  • Où en es-tu actuellement de tes deux formations ?

Pour l’instant, je continue le projet Ozu avec le Ladyland. On va tourner ensemble cet été. Sinon, je travaille beaucoup sur des duos, dont un avec Sly Johnson, et un autre avec Richard Galliano. J’ai aussi un projet avec Murcof. Et puis un projet indien.

  • Justement, tu reviens d’Inde. Comment ce sont concrétisés les concerts là-bas avec Malcolm Braff ?

Suite à une série de concerts en Inde, j’ai rencontré des musiciens extraordinaires à Calcutta. J’ai eu envie d’y retourner. J’ai soumis un dossier à l’Ambassade de France, qui proposait justement des résidences là-bas. Tout à été accepté et nous y sommes allés.

  • Quel style cela donne-t-il ? Jazz atmosphérique ? Musique indienne ?

D’abord, la texture musicale est différente. L’instrumentation c’est : tabla, piano, trompette et bois. L’ensemble est fortement basé sur la musique indienne classique. Avec quelques influences jazz bien sûr. Et puis, on improvise beaucoup dans la musique indienne aussi.

Erik Truffaz © Jos L. Knaepen/Vues Sur Scènes
  • Vous avez enregistré les concerts dans le but de sortir un album ?

Bof, tu sais, les albums… Quand tu vois ce que ça coûte et ce que ça rapporte…

  • Mais alors, quand tu as sorti le double album « live », avec les deux groupes, c’était dans quelle optique ? Le témoignage d’une étape pour passer à autre chose ?

Non, pas vraiment pour passer à autre chose. C’est une sorte de photographie du moment. Et quand on photographie les choses, ce n’est pas toujours pour les changer ensuite.

  • Mais le quartette est passé par différents styles musicaux. Du drum’n bass au rock. Puis dernièrement, avec Ed Harcourt vers une formule plus pop. Comment s’opèrent ces mouvements, ces évolutions ?

C’est fait surtout de réflexions. On se pose des questions tout le temps. Après avoir fait un disque ou après des années de tournées ensemble, on se demande toujours comment on va évoluer. C’est normal. Alors, chaque musicien arrive avec des propositions. On finit par trouver des terrains d’entente. C’est un véritable travail de groupe.

  • Toujours dans le but d’explorer de nouvelles pistes, sans trop se poser de questions de styles ?

C’est surtout dans le but de rester vivant, de ne pas ronronner, de continuer à avancer, de ne pas s’enfoncer dans nos habitudes. Sous l’impulsion de Marcello Giuliani, ce qu’on a d’abord essayé de casser avec l’album « rock » ( Walk Of The Giant Turtle ), c’était notre image drum’n bass. Car si tu es étiqueté par rapport à une mode et que la mode passe…. Hé bien… tu passes aussi.

  • Mais toi, tu as toujours essayé de surfer sur les modes. En prenant des contre-pieds, en te moquant des styles ou des étiquettes…

Oui, j’essaie. Mais c’est du travail. Un peu de courage aussi. Mais c’est surtout de la curiosité. Quant à la forme de la musique, je m’en fous un peu. Ce qui m’intéresse, c’est le fond. Même si je réfléchis aussi sur la forme, bien sûr. Mais sans le fond, c’est rien.

  • C’est pour cela qu’on te retrouve sur des projets électro, musique française, rock, musique ethnique, contemporaine, etc… ?

Oui. Et si je dois jouer avec un orchestre classique, ça ne me pose pas de problème non plus. J’aimerais bien, d’ailleurs, si j’en avais les moyens. Mais je réfléchis aussi sur le devenir d’un projet. Je ne me vois pas prendre un musicien new-yorkais, par exemple, car je sais que ce ne serait pas viable. Mais je ne suis pas le seul à penser de la sorte : Anouar Brahem , par exemple, avait rencontré un percussionniste incroyable au Liban avec qui il voulait vraiment travailler, mais il a renoncé, car faire venir ce musicien pour chaque concert était déraisonnable et trop cher. Un groupe, c’est comme une petite entreprise et il faut penser à ça aussi.

Erik Truffaz©Jos L. Knaepen/Vues Sur Scènes
  • C’est parfois frustrant, non ? Surtout quand on aime mélanger les genres et les cultures. D’ailleurs, ces mixages, c’est aussi pour faire passer des messages politiques ?

En quelque sorte, oui parfois. C’est sûr que lorsque je prends un chanteur arabe, ce n’est pas une démarche neutre. J’aime la musique arabe, même si je ne peux pas dire que j’en écoute beaucoup. Mais quand je me retrouve là-bas, j’ai besoin d’entendre cette musique, le chant du muezzin Et j’aime mélanger cela à ma culture. Je m’y retrouve, car il y a quelque chose dans les musiques soufies, indiennes ou arabes, une sorte de recherche du son qui m’intéresse beaucoup. De la matière. Et aussi de l’improvisation ! Il n’y a pas que dans le jazz que l’on improvise. Et tout cela nous rapproche.

  • Ce serait quoi, ta définition du jazz ?

Je ne sais pas, mais l’utilisation de certains instruments correspond plus au jazz que d’autres. Si tu improvises à la trompette, plutôt que de jouer du classique, tu fais déjà du jazz. Presque automatiquement. Car le jazz a beaucoup développé cet instrument. Après, bien sûr, il y a toutes les définitions qui étaient les revendications politiques des Noirs américains. Mais ça, c’est un mouvement - qui se respecte mais auquel un Européen, blanc en plus, ne peut totalement s’identifier. Hard bop, be bop c’était leur musique propre. Tout comme Iggy Pop joue du rock. Et moi, ce que je cherche, ce n’est pas une musique de banquiers. J’aime la musique de l’instant, je l’aime vivante, un peu rock, un peu sauvage.

  • Actuelle en somme.

Actuelle, je ne sais pas. La Star Ac, c’est actuel aussi. Ce qui m’intéresse c’est de m’intégrer dans plein de musiques différentes. L’important, c’est de trouver la complicité avec les autres musiciens. Avec le quartette, on cherche ensemble, on compose ensemble. Comme dans un groupe de rock, et ça c’est énorme.

Erik Truffaz © Jos L. Knaepen/Vues Sur Scènes
  • Mais c’est surtout toi qui composes ?

Non, pas vraiment. La direction de The Dawn a surtout été assurée par Marcello Giuliani. C’est également lui qui a insufflé l’esprit rock à The Walk Of The Giant Turttle. Quant au dernier disque, plus pop, c’est une décision plus collective.

  • Comment as-tu rencontré Ed Harcourt, et pourquoi as-tu voulu l’associer au quartette ?

J’ai rencontré Ed à Paris lors de l’hommage à Chet Baker au New Morning. Ensuite, j’ai eu envie de lui demander de chanter pour le groupe. Au départ, je n’osais pas le lui dire, car je pensais qu’il était trop connu. Alors, je lui ai demandé de me conseiller un chanteur. Mais il ne m’a jamais répondu. Par contre, plus tard, je lui ai demandé s’il voulait chanter avec nous, et là, il a été d’accord tout de suite.

  • Il est arrivé avec des compositions personnelles ?

On lui a d’abord envoyé des thèmes qu’on avait écrits avec le groupe. De son côté, il a écrit des paroles et des mélodies. Pour le reste, tout s’est passé en studio.

  • Un peu comme avec Christophe ?

À part que Ed Harcourt est beaucoup plus rapide que Christophe. Harcourt va très, très vite, il est hyper doué. Christophe, lui, bosse plus à l’instinct et à l’émotion, il lui faut du temps. Et parfois, ça ne peut pas marcher. Avec Harcourt, c’est impossible que cela ne marche pas. Il mériterait, d’ailleurs, d’avoir beaucoup plus de succès.

  • Tous ces composants sont assez pop, est-ce parce que tu as toujours rêvé de jouer de la guitare dans un groupe de rock ?

Pas vraiment. Au départ, pour la trompette, je n’étais pas doué. Zéro. Alors j’ai creusé un truc et j’ai travaillé comme un fou sur un principe pour en tirer quelque chose qui me corresponde. Mais je n’y arrivais pas. Tu sais, la trompette, c’est comme le tir à l’arc, ou certains arts martiaux, si tu n’atteins pas l’endroit précis, c’est foutu. Donc, il faut apprendre la bonne façon de souffler. Et trouver son équilibre.

Erik Truffaz © Jos L. Knaepen/Vues Sur Scènes
  • J’ai lu dans Jazzman que l’un de tes vœux serait de pouvoir composer comme Wayne Shorter.

Tu penses que j’ai dit une connerie ?

  • Non, pas du tout, je voulais savoir ce que tu entendais par là ?

Je pense que Wayne Shorter est un des plus grands compositeurs de ce siècle. Ce type amenait trois ou quatre thèmes à Miles par semaine. Il travaille avec une telle facilité, sans piano, sans rien… Ça c’est un vrai compositeur, comme Debussy ou Ravel. Ce n’est pas comme moi qui mets un mois ou plus pour écrire laborieusement une compo. Et avec un piano ! Je sais composer, mais je ne suis pas doué pour ça. Je suis peut-être plus doué pour écrire des mélodies. Des mélodies qu’on retient. Ce qui me plaît, c’est le rythme et les mélodies. Ça tombe bien, car j’ai une équipe de tueurs au point de vue rythmique, et moi j’apporte les mélodies.

  • C’est à nouveau cet esprit groupe rock ?

Oui, mais on fait du jazz. Shorter faisait ça avec Miles aussi. Sur Filles de Kilimanjaro, ce sont les mélodies, des thèmes qui tournent, qui se décalent. In A Silent Way est travaillé aussi dans le même esprit. J’adore ça. Mille fois plus qu’un disque de Wynton Marsalis. Et puis, c’est vrai, j’aime les chanteurs. Dans le groupe, on est tous un peu des chanteurs frustrés. J’adore Peter Gabriel, le chanteur de Coldplay, les Beatles, Led Zep… Ça c’est la musique avec laquelle j’ai grandi et que j’aime.

  • Tu as aussi joué avec Harald Haerter, Joe Lovano, Michael Brecker…

Oui, avec Joe Lovano, ce fut une expérience fantastique. C’est une montagne d’énergie et de propositions. Quand tu joues à côté de lui, tu te remplis d’espoir et de motivation pour travailler.

  • Et Brecker ?

Une de mes plus belles collaborations. Un souvenir magnifique. On a fait quatre concerts ensemble. Ensuite, on a continué à échanger des mails durant sa maladie. Il avait déclaré dans un journal que j’étais un des trois trompettistes avec qui il avait préféré jouer. J’étais sur un petit nuage.

  • Qui étaient les deux autres ?

Roy Hargrove et son frère Randy Brecker.

  • Hum, tu es plutôt en bonne compagnie. Quels sont tes projets imminents ?

Hé bien, d’abord le projet indien à Paris puis à Cully, sans doute en Allemagne aussi… Et puis ailleurs encore, j’espère. Et je vais aussi me concentrer sur mes projets en duo avec Murcof, Galliano et Sly Johnson. Et puis après on verra car, comme toujours, il y aura peut-être des choses imprévues...