Portrait

Fiona Monbet, hors des zones de confort

Une artiste éclectique, jazz, musique traditionnelle irlandaise, musique classique, direction d’orchestre, compositrice…


Fiona Monbet à Jazz sous les Pommiers © Gérard Boisnel

Fiona Monbet, une artiste insatiable ou insaisissable ? Toujours en recherche, en tout cas.
Portrait d’une jeune musicienne toujours en mouvement à la croisée du jazz, de la musique traditionnelle irlandaise, de la musique classique, soliste, cheffe d’orchestre, compositrice, passionnée par tout ce qui est humain…

Quand on la qualifie de franco-irlandaise - son père est gascon et sa mère irlandaise - Fiona Monbet arbore un sourire malicieux et ses yeux pétillent. « J’ai toujours dit que j’étais franco-irlandaise. Je remarque que, depuis quelque temps, c’est quelque chose que les journalistes et programmateurs décident de mettre beaucoup en avant. Je crois que l’Irlande leur plaît ! ». On prend note. Elle précise : « L’Irlande est un pays qui a sa propre histoire, ses légendes, sa musique traditionnelle, son lien si organique à l’oralité. C’est une dimension qui fait partie de moi et qui nourrit évidemment ma vision artistique ». Elle revendique aussi la double culture qui l’accompagne et apparaît très nettement dans sa manière de jouer.

Comment la musique irlandaise s’est-elle imposée dans sa vie ? Tout naturellement, à l’en croire. « Oh, en famille ! A Noël…, dit-elle, puis dans les pubs ! Et enfin avec des musiciens irlandais et écossais que j’ai rencontrés au fil de mes voyages. Cette musique a toujours été assez omniprésente dans ma vie ».

Fiona Monbet par Gérard Boisnel

Il n’en reste pas moins que sa formation est clairement divisée en deux pôles. La musique « classique », avec un diplôme du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris et du conservatoire de Lille en direction d’orchestre, d’un côté. Et de l’autre, le jazz : elle est diplômée du centre des musiques de Didier Lockwood (CMDL).
C’est un parcours assez rare qui ne viendrait pas d’un propos délibéré mais serait le fruit de rencontres humaines. On peut citer, entre autres, Ami Flammer (CNSMD Paris), Tony Gatlif (réalisateur), Jean-Sebastien Béreau (CNSMDP et direction d’orchestre à Lille). Chacune de ses rencontres la mène sur des chemins très nouveaux chaque fois. Variété qui ne signifie pas dispersion : « Au fil des rencontres se tisse une trame, et ces différentes directions qui paraissent éloignées ou légèrement brumeuses lorsque l’on est plus jeune prennent du sens avec le temps. Toutes ces facettes commencent à converger, elles s’apportent et se nourrissent. »

Lockwood aimait l’idée qu’elle fasse de la direction d’orchestre


Et puis, il y a bien sûr la rencontre fondamentale, primordiale, avec Didier Lockwood. Une sorte de parrainage qui commence alors que Fiona Monbet est encore très jeune. Aujourd’hui encore elle se demande pourquoi il l’a choisie, elle, qui n’avait rien demandé ! Une sorte d’alchimie humaine, sans doute. Elle cite la générosité de Didier Lockwood et leur goût commun du risque, et rappelle qu’il avait un langage à lui, une manière d’improviser qui lui permettait de se connecter avec n’importe lequel des musiciens qu’il croisait. « C’était assez fascinant à observer ». En tout cas, quiconque les a vus en scène ne peut qu’avoir été frappé par cette osmose entre eux. Fiona Monbet lui garde sa reconnaissance pour lui avoir ouvert autant de portes et il reste à ses yeux une très grande figure. Elle ne l’a pas suivi tête baissée pour autant. Ainsi était-il opposé à son entrée au conservatoire en classe de violon classique. On connaît la suite. Elle n’a pas non plus fait une carrière uniquement de jazz.

Fiona Monbet & Didier Lockwood © Gérard Boisnel

En revanche, Lockwood aimait l’idée qu’elle fasse de la direction d’orchestre, même s’il ne comprenait pas trop pourquoi elle empruntait cette route ! Il serait peut-être surpris, certainement heureux de voir comment son parcours de cheffe d’orchestre s’étoffe.
Elle est Cheffe Invitée et Artiste en Résidence à l’Orchestre National de Bretagne (Rennes, depuis 2020), directrice musicale de l’Ensemble Miroirs Étendus. Elle vient de diriger l’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine, l’Orchestre National de Montpellier et elle dirigera bientôt le BBC National Orchestra en Irlande et au Pays de Galles. Comment est-elle arrivée là ? A l’entendre, tout s’est fait naturellement : « J’ai un amour de l’analyse des partitions et un désir de comprendre les mécanismes d’écriture des œuvres que je dirige. J’ai découvert un royaume infini avec la direction d’orchestre. Il y a cette notion de chercher toujours, qu’il y a bien sûr dans toutes les musiques, mais le répertoire des grands orchestres me bouleverse par-dessus tout. »

Ce dialogue entre des mondes, c’est aussi le reflet d’une société qui cherche son identité et sa cohésion


Pour quelqu’un qui, plus jeune, était très timide, il doit être étrange d’arriver sur un podium avec des gens devant et derrière soi. « C’est le comble, même ! », reconnaît-elle. Puis elle ajoute « Mais je crois que je n’ai jamais pu faire autrement que de me mettre en déséquilibre par rapport à ma zone de confort. C’est un processus dynamique, parfois fatigant… mais toujours passionnant. Et puis il y avait une suite assez logique. J’ai eu des projets en tant que leader en jazz, j’ai beaucoup joué en musique de chambre ou en soliste parfois. Pour moi c’était le pas d’après. »

Fiona Monbet par Gérard Boisnel

L’aboutissement (provisoire) de ce cursus, c’est sans doute sa dernière œuvre, Trois reflets, une promenade à travers ses influences musicales aux 20e et 21e siècles. Un point d’équilibre entre les différents temps artistiques de son parcours, une sorte de manifeste, le point de rencontre, pour elle, entre le jazz, le violon et la direction.
Trois Reflets tisse des liens entre des mondes et des émotions : c’est un projet extrêmement mélodique avec une forme de simplicité qui vise à toucher les gens. Ce dialogue entre des mondes, c’est aussi le reflet d’une société qui cherche son identité et sa cohésion, surtout pour ses membres les plus jeunes. « L’un des rôles des artistes là-dedans, dit-elle, c’est d’ouvrir des portes, personnelles, émotionnelles, collectives, de chercher de nouveaux imaginaires aussi. C’est un peu l’objet de ce voyage que je propose. »

L’œuvre sera créée à l’Opéra de Rennes le 23 octobre prochain, pour la deuxième édition de Ça va jazzer, le festival de jazz symphonique de Rennes. C’est un projet conçu et écrit pour l’Orchestre National de Bretagne, « un des rares capables de changer de style très rapidement et de manière très convaincante ». La compositrice tisse avec les musiciens une trame de ces différents fils musicaux. Si chacun d’entre eux garde son intégrité, sans mélange des genres, l’improvisation vient les assembler et mettre en lumière leurs influences réciproques pour un voyage à travers plusieurs mondes.
Un pont permanent entre l’écriture pour l’orchestre et pour le groupe de jazz, donnant un sentiment de liberté aux musiciens présents sur le plateau qui parfois jouent sans cheffe dans l’esprit d’un Big Band de jazz, ou encore de musique de chambre. Une démarche délicate, sans doute ? « Cela m’a demandé un dialogue constant et une attention toute particulière dans le travail, depuis l’étape de l’écriture jusqu’à celle de la création. C’est ce dialogue entre les musiciens qui fait l’âme de ce projet. »