Scènes

Jazz à l’Ouest, 25ème

Pour son édition 2014, Jazz à l’Ouest propose un cocktail de jeunes musiciens et de talents confirmés.


Photo © J.-F. Picaut

C’est la vingt-cinquième fois que Jazz à l’Ouest convie les amateurs à la MJC Bréquigny (Rennes, Ille-et-Vilaine) en automne. Ces dernières années, le festival a également essaimé dans quelques villes de l’agglomération. Fidèle à sa vocation, il a proposé des artistes internationaux et nationaux, sans oublier de soutenir la scène locale. Retour sur quelques moments auxquels nous avons eu le plaisir d’assister.

Lisa Simone quartet : quand on n’est plus seulement la fille de…

La salle du Carré Sévigné à Cesson-Sévigné est pleine à craquer en ce 6 novembre : on est venus voir si ce qu’on commence à dire est vrai : Lisa Simone, qui avait déjà un nom (et quel nom !) aurait désormais, à plus de cinquante ans, un prénom. Elle va tenter, en près de deux heures, de nous le prouver. Pour ce faire, elle sera bien aidée par le trio Hervé Samb (guitare, compositions et arrangements), Reggie Washington (basse électrique) et Sonny Troupé (batterie). Le répertoire est largement puisé dans son premier disque sous son nom, All Is Well, paru chez Laborie Jazz en 2014.

Lisa Simone © J.-F. Picaut

« Interlude » ouvre le concert (et l’album). Lisa Simone fait son entrée, silhouette longiligne, tenue sobre, front dégagé et haut chignon… à l’image de sa mère. Sur quelques notes de guitare qui évoquent la kora, elle pose des mots murmurés, comme pour évoquer de nouveaux commencements. « All Is Well », une pièce lente et néanmoins rythmée, lui succède, interprétée d’une voix grave et expressive : il faut affirmer que désormais « tout est bien », les comptes sont réglés. Plus question de regarder par-dessus son épaule, de vivre pour les autres ; le temps est venu de vivre avec soi-même. Difficile, cependant, de ne pas évoquer (une dernière fois ?) le passé avec un « Child in Me » poignant. Sur cette chanson, interprétée avec puissance et douceur à la fois, Samb et Washington donnent un premier aperçu de leur talent. Elle confirme, de même que les titres suivants, les qualités de parolière de Lisa Simone. Avant de poursuivre, elle s’adresse au public, en français s’il vous plaît. Elle parlera beaucoup ce soir - trop diront certains ; en tout cas, elle aura eu le mérite de secouer une salle attentive, mais bien lente à se mettre en mouvement.

Et du mouvement, justement, il commence à y en avoir avec « Revolution ». Mais on revient au calme avec « Autumn Leaves » dont elle interprète les deux premiers couplets en anglais, assise au bord de la scène, avant de faire chanter à la salle sur les « Feuilles mortes » de Prévert. Elle termine seule, avec dans la voix des échos de Nina, dont elle chante ensuite « Ain’t Got No, I Got Life » ; ce sera la seule reprise de ce soir, mais elle en a arrangé les paroles à sa façon. On sort de l’album avec « Take Me Away » (Keyshia Cole), qu’elle entame a cappella. Suit un merveilleux duo avec Hervé Samb sur la ballade « New World Coming ». Elle se mêle aux spectateurs sur « Suzanne » (Leonard Cohen) et la salle réagit, enfin conquise. Le concert file vers sa fin sur un mode nettement moins intimiste qui met en valeur les qualités d’une interprète rompue aux scènes de Broadway.

Africa Jazz, carte blanche à Baba Touré : métissage réussi

Pour cette soirée le festival Jazz à l’Ouest a vu grand : une salle où les spectateurs sont pour la plupart debout. Bien lui en a pris car le concert se joué à guichets fermés. Carte blanche a été donnée au jeune percussionniste (38 ans) Baba Touré, ivoirien mais installé à Rennes depuis 1998, qui a su s’entourer de musiciens connus en Afrique et au-delà : Abdoulaye Traoré (guitare), Ahmed Fofana (claviers), Christian Djieya (batterie), Balakala Diabaté (balafon) et le chanteur Mohamed Diaby. Mais il a également fait appel à Rafael Paisano Monzon (basse), Maela Le Badezet (harpe et chant) et Romain Mercier (saxophones). Une belle équipe qui ne tarde pas à chauffer le public. L’ambition est claire : croiser les musiques africaines et le jazz, les confronter à la musique traditionnelle bretonne. Le pari est réussi et le choix du répertoire n’y est pas étranger.

« Djandjo » est une superbe ballade qui met en évidence les grandes qualités du guitariste ; là encore, on croirait par instants entendre une kora. L’entente est parfaite avec Diaby, qui l’interprète avec une voix typique de l’Afrique de l’Ouest par l’utilisation des résonateurs. Sur « Masani Cissé » et « Soundjata », on apprécie les couleurs chatoyantes d’Ahmed Fofana au piano. Le rythme s’accélère avec « Kaira », plus dansant, où s’illustrent Mercier et le bassiste Paisano Monzon. Suit un duo harpe et piano de toute beauté. Maela Le Badezet y révèle une voix intéressante en breton et en français. Baba Touré y ajoute des nuances particulières avec un gongoma de très belle facture, pas très bien éclairé, hélas. Le moment plus spécifiquement jazz, ou plutôt blues, vient avec « Mr. P.C. », d’après Coltrane, l’introduction étant signée Romain Mercier. « Zoulou Kala Nani » permet à Baba Touré de démontrer sa virtuosité, non seulement par sa vélocité mais aussi par la variété des rythmes et des couleurs. De son côté, Djieya y prend un solo complètement déchaîné. À la fin du concert, Ahmed Fofana nous surprendra par un passage orientalisant. La soirée a parfaitement tenu ses promesses : le mélange des cultures musicales est réussi, l’engagement de tous les artistes est indéniable et on en a apprécié la touche festive typiquement africaine.

Pascal Salmon & Cie : la musique en liberté

La base du concert de ce soir (11 novembre) est un trio où Pascal Salmon (piano) est accompagné par Guillaume Robert (contrebasse) et Simon Bernier (batterie). Cette formation sera complétée, selon les morceaux, par Romain Salmon (guitare) et Julia Salmon (violoncelle), les enfants de Pascal, ainsi que par Hildegarde Wanzlawe (chant).

Pascal Salmon © J.-F. Picaut

Le programme est emprunté à un disque à paraître où les influences latines - souvent brésiliennes - se mêlent à un jazz plus classique, d’où est issu Pascal Salmon. Dès les première mesures de « Réminiscences », un thème élégant, légèrement dansant, le ton est donné. La maîtrise pianistique de Salmon est évidente ; son jeu, qui exploite tout le clavier, est ample, puissant et nuancé à la fois - héritage de sa culture classique et de son passage au Berklee College Of Music de Boston (USA). « D’une rive à l’autre », ballade qui donne son titre à l’album et sur laquelle Julia fait son entrée, évoque les deux rives de la Méditerranée dans un heureux mariage harmonique entre violoncelle et contrebasse. Délicat travail sur les timbres de Simon Bernier, qu’on retrouvera sur « Mes mots pour le dire », une mélodie très touchante qui comporte une superbe introduction interprétée par Pascal et Julia Salmon.

Après « A Fleur de peau », qui révèle Romain à la guitare acoustique, et « Des pieds et des mains » qui porte bien son nom tant il donne envie de bouger, Hildegarde Wanzlawe interprète « Ciranda de La ». Cette ronde enfantine écrite à l’origine pour Julia sous le titre « La Couleur du vent », révèle une très belle voix et une chanteuse expressive dans sa gestuelle. On découvre à cette occasion que Pascal Salmon peut aussi chanter ! Sur « Entre les lignes », une pièce rapide et dansante, Romain fait la preuve de sa vélocité. Le concert durera près de deux heures mais le public n’est pas pour autant rassasié ; il obtiendra un rappel. Si D’une rive à l’autre tient les promesses de ce soir, il signera un beau retour de Pascal Salmon au disque et sera à coup sûr plébiscité par les amateurs.

Alex Stuart quartet invite Nicolas Folmer : éclectisme en finesse

C’est avec Alex Stuart, jeune guitariste et compositeur australien qui vit en France depuis près de dix ans, que se conclut cette revue, non exhaustive, de Jazz à l’Ouest #25. Il y présente le 14 novembre un répertoire presque exclusivement tiré de son nouvel album, Place To Be (Gaya). Pour l’occasion, il est entouré d’Irving Acao (saxophone ténor), Luc Isenmann (contrebasse), Chris Jennings (batterie) et, en invité spécial, Nicolas Folmer (trompette). Après Waves réalisé en Australie et Around (2010) qui lui a valu d’être consacré Révélation et Grand prix du Jury au festival Jazz à Juan 2011, Place To Be, à peine sorti, a été encensé par la critique.

« Snow Falling On The Crests of The Waves » commence lentement, avec majesté, sur un lancinant leitmotiv de guitare (une figure que Stuart semble apprécier et qu’il a peut-être empruntée à certains compositeurs américains). On y apprécie le délicat phrasé d’Irving Acao, comme un peu plus tard son solo énergique. « Little Black Lion » s’amorce sur un rythme rapide par un beau trio guitare, batterie, contrebasse qui laisse peu à peu place à un dialogue serré entre saxophone et trompette sur une pulsation nette et un rythme croissant, le tout trahissant une certaine urgence pour s’achever par une joute serrée. A la fin du concert, Nicolas Folmer nous confiera la difficulté qu’il y a, dans cette musique très écrite, très serrée, à trouver un chemin pour livrer une improvisation qui ait un sens pour l’auditeur.

Alex Stuart Quartet © J.-F. Picaut

« Viet Crew » abrite ensuite des prises de parole remarquables ; Stuart s’y distingue par un jeu de guitare évoquant des instruments africains (comme sur « Place To Be »), mais aussi un magnifique solo dansant et très mélodieux (comme dans « Where Is The Line », de Björk). Folmer cisèle un lent et délicat passage à la trompette bouchée et Jennings montre son savoir-faire en matière de vélocité et de changements de rythme. « Around », qui donnait son nom à l’album précédent, commence très rapidement, en tutti, avec des accents orientaux. Suit un beau solo paroxystique d’Acao en opposition à la reprise élégiaque de la guitare. Le public, ravi de ce voyage mouvementé, plein d’émotion et d’atmosphères diverses, demande un rappel. Ce sera « Cuttagee, Wapengo », un titre dansant à souhait, comme un viatique pour rentrer chez soi avec des images et des sons pour rêver.

Ainsi s’achève cette immersion dans la 25e édition de Jazz à l’Ouest, auquel on souhaite bon vent vers le demi-siècle.