Chronique

Franck Tortiller & Misja Fitzgerald-Michel

Les Heures propices

Franck Tortiller (vb), Misja Fitzgerald-Michel (g)

Label / Distribution : Label MCO

C’est le propre des meneurs de troupe que d’aimer se retrouver seul, ou juste accompagné d’un très proche. Franck Tortiller est de ceux-ci. Chef d’orchestre remarqué de l’ONJ, tonitruant dans son approche de Zappa avec le Collectiv, ancien du Vienna Art Orchestra, le vibraphoniste n’aime rien tant que le nombre, mais on l’apprécie avec davantage de force lorsque l’on goûte la solitude. Ce fut le cas dans l’inspiré solo La leçon des jours, et plus encore dans la relation intime qui le lie à son vieil ami François Corneloup (Singing Fellows). Tortiller est un grand mélodiste, c’est un fait. Cela se confirme avec le vaporeux « In Vino » qui accueille le guitariste Misja Fitzgerald-Michel, nouvel alter ego dans une quête de la simplicité et de l’essentiel. Ce sont les Heures propices, celles du soir manifestement, à la nuit tombée près de l’âtre. On y joue joyeusement, comme dans le « Clos des corvées » où la guitare tente de rivaliser de vitesse avec un vibraphone versatile.

Est-il personnage plus insaisissable que Misja Fitzgerald-Michel dans le paysage du jazz français ? Rare, un parcours partagé entre des choix pop et une virtuosité au service des ses pairs, on est heureux de le trouver en cette belle compagnie. Les deux musiciens ne sont pas éloignés, d’ailleurs : on retrouve dans leur jeu et dans leur choix un goût commun pour la ligne claire et la musique populaire, quelques rhizomes de folk songs et une reprise d’une franche pureté du « Redemption Song » de Bob Marley. Pour ceux qui n’aiment pas le reggae, maladie commune et tout à fait bénigne [1], c’est l’occasion d’apprécier la belle structure de cet hymne, sa construction pleine d’émotion qui éclate à chaque frappe des mailloches. Ce n’est pas un passage obligé, un clin d’œil, une interprétation corsetée. C’est une promenade immobile, hors du temps, diablement mélodique et sans couverture tirée inutilement à soi. La guitare ne cherche jamais la bravoure ; elle s’intègre, fusionne, colore, bouillonne et suit le fil de l’eau.

On en vient à Lamartine. Ses heures propices passées au bord du lac ont nourri les deux artistes, et c’est cette décoction qu’ils nous proposent ici  : « Laissez-nous savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours ». Le disque de Fitzgerald-Michel et Tortiller n’est pas romantique, dans le sens où il n’y a pas de posture, et il n’appartient qu’à eux deux. Mais on remarque un fil conducteur qui le relie à la musique écrite occidentale, de Debussy à Gershwin en passant par Ravel et qui éclaire le disque. Il est trop tôt pour dire si les quelques mois d’hibernation contrainte auront changé notre perception durablement, mais il est indéniable que ce disque y colle généreusement. Les Heures propices est de ces albums qui vous font voyager en restant immobile, qui s’évadent avec l’auditeur plutôt qu’ils ne le libèrent et qui laissent libre cours à l’imagination. Le tout avec une douceur sans pareille et une élégance de chaque instant.

par Franpi Barriaux // Publié le 5 juillet 2020
P.-S. :

[1Voire synonyme de bonne santé auditive, c’est le critique qui parle.