Chronique

Trio Tortiller/Godard/Héral

ImpertinAnce

Franck Tortiller (vib, marimba, xyl), Michel Godard (tuba, serpent), Patrice Héral (perc, voix, samplers, électr)

Label / Distribution : CamJazz/Harmonia Mundi

Depuis le temps qu’on attendait un enregistrement en petite formation réunissant les trois compères voyageurs, on est comblé. Il fauit dire que le duo actuel Franck Tortiller-Patrice Héral n’a malheureusement pas fait l’objet d’un disque. Il en était déjà ainsi du le quintet À ciel ouvert qui, en 1999, faisait appel à Michel Godard, même si le dernier album du tubiste Cousins germains les réunissait déjà.

Comme souvent sur le label italien CamJazz, auquel on doit de somptueux albums, le goût de la rencontre est au rendez-vous. Une rencontre peu surprenante tant au niveau des personnalités musicales que des compositions, puisque celles-ci sont affranchies de tous les genres.

Avec ImpertinAnce, voici l’occasion de redécouvrir trois grands improvisateurs qui font depuis de nombreuses années des allers-retours entre les divers pays d’Europe pour y découvrir des richesses musicales et partager les leurs, qui sont infinies. Rappelons que chacun a collaboré avec des solistes européens de haute volée (Matthias Ruëgg, Wolfgang Puschnig, Christoph Lauer, Max Nagl, Terje Rypdal, Carsten Dahl… la liste est longue).

Comment définir la musique de ce trio sans chef désigné (chaque soliste y est présent à part égale, que ce soit dans l’interprétation ou dans l’écriture) ? Comment décrire l’émotion émanant de cette formation à l’instrumentation inédite ? La préoccupation centrale est à chercher ici dans le sens de la mélodie libérée de toute contrainte stylistique. Les compositions et improvisations (essentiellement dues au tubiste et au vibraphoniste) se succèdent comme dans un recueil de poèmes où se trouveraient réunies des cultures variées.

Le premier est passionné par les innombrables possibilités qu’offre sa batterie minimaliste et sa voix accompagnée de samplers pour une musique toujours plus riche et intense. Le second ne cesse de réinventer les percussions-claviers (vibraphone, xylophone et surtout marimba) en s’inspirant de son irrréprochable sens du chant et de la mélodie. Et le troisième souffle des lignes de basse planantes et dansantes (tour à tour au tuba et au serpent) pour envelopper la matière sonore. Les influences sont, grâce au timbre éclatant du marimba, celle de l’Afrique, mais aussi des musiques médiévales et baroques (source d’inspiration de Godard depuis des années) ; de plus loin, on perçoit aussi les musiques électroniques apportées par les boucles rythmiques de Patrice Héral, bien plus marquées en concert que sur disque.

« Les Sorcières » recèle une envolée au marimba soutenue par un accompagnement léger au tuba, Godard prenant à son tour un chorus imprégné de lyrisme. « Mona », introduit par des voix d’enfants, propose un thème chanté par Héral puis repris au vibraphone, avant une acrobatique improvisation au marimba où l’on note une percée rythmique d’Héral. On retrouve ensuite dans « La Belle vie… » la patte de Tortiller : une mélodie un peu triste et tout en nuances. Idem pour « Les charmes », qui clôture le disque en laissant planer une mélodie apaisante. Trois plages sont l’occasion de duos : « Luiza blanca », « Do You Loveliness 2 ? » et « Serpents et sonnailles » rapprochent encore plus les talents de mélodiste et de coloriste de chaque intervenant.

On ne pouvait pas attendre mieux de ce magnifique enregistrement, de ces complices habitués à partager des expériences marquantes. Leur musique plonge l’auditeur dans un bonheur absolu grâce à de très belles mélodies - tant écrites qu’improvisées. ImpertinAnce, n’est-ce pas ironique pour une rencontre aussi pertinente ?