Chronique

François Corneloup

Seuils

François Corneloup (photographe)

Label / Distribution : Jazzdor Series

La nouvelle proposition de François Corneloup compte bon nombre de musiciens de talent. Ce n’est pourtant pas, cette fois-ci, à la découverte d’un disque que nous invite le saxophoniste, mais à un livre de photographies. L’histoire qui préside à cette publication joue à la fois des circonstances et des rencontres. Durant le confinement de l’année 2020, la position gouvernementale de considérer le monde de la culture, et particulièrement celui du spectacle vivant, comme un élément non-essentiel du fonctionnement de la société, a conduit François Corneloup à poster, sur le réseau Facebook, des photos de sa main présentant des acteurs de la musique dans laquelle il évolue, barrées du mot : essentiel. Une série de portraits qui ont séduit Philippe Ochem. Le directeur du festival Jazzdor lui propose alors de publier ce travail sous la forme d’un album qui paraît aujourd’hui sur Jazzdor Séries.

Proprement relié avec une couverture en tissu et des reproductions de qualité, l’objet est soigné. Il contient une petite cent-cinquantaine de photographies noir et blanc qui rappellent immanquablement le travail de Guy Le Querrec. Figure tutélaire (il est le premier portraituré, et a également droit à un entretien en fin de livre), le photographe breton a, comme peu d’autres, accompagné les musiciens de jazz, durant plusieurs décennies, dans les interstices de leur travail de représentation : les loges, les coulisses, les avant et après-plateaux auxquels Corneloup nous donne également accès. Le Querrec est parvenu à capter des instants en suspens qui s’inscrivent dans des compositions originales.

Corneloup prolonge cette approche. Il choisit le portrait dynamique ou non-posé comme mode d’expression, particulièrement parce qu’il est de l’humain possiblement en mouvement. Le photographe privilégie, en effet, les constructions surprenantes, désaxées, structurées en plusieurs plans et qui rendent actif celui qui les regarde. Jeu de vitres ou de miroir, croisement des traits, le visage est à chercher. D’autres fois, ce sont des lignes claires, impeccablement construites qui parviennent à saisir une attitude, une posture. Le visage n’est pas nécessairement centré, et s’amuse à déjouer parfois l’arbitraire de la focale. Il est toujours, en revanche, le point ultime des convergences.

Au fil des pages, elles aussi construites en reflet ou écho, d’une photo à l’autre, on reconnaît Michel Portal, Jean-François Pauvros, Sophia Domancich, Matthieu Metzger, Claudia Solal, Ramón López, Sarah Murcia et bien d’autres, de même que des personnalités périphériques (mais donc également essentielles), comme les comédiens, les techniciens, les régisseuses, les assistantes de production. Une petite société qui, comme dans tout environnement professionnel, réunit de multiples métiers.

Entrecoupé de textes écrits par Jean Rochard dans une langue évocatoire ouverte à tous les registres, du savant au poétique, le livre initie aussi une réflexion sur cet art de la prise de vue : le portrait, les musiciens photographes, ce qu’est l’instant, ce qu’est le jaillissement… et replace la pratique individuelle du photographe-musicien dans la grande histoire artistique de l’humain. De même, en conclusion, les propos de Corneloup et Le Querrec éclairent autrement la manière d’envisager la photographie, cette technique qui capte l’imprévu, et fait de la vie qui s’écoule un saisissement qui, au moment de trahir cette vie, la sublime.