Chronique

Fred Pallem & Le Sacre du Tympan

L’Odyssée

Label / Distribution : Train Fantôme

Ô Muse, conte-moi l’aventure de l’inventif : certes, le bassiste et chef d’orchestre du Sacre du Tympan Fred Pallem n’a pas pillé Troie. Mais avec l’Odyssée, il revient plutôt à ses amours d’antan, plus que jamais attentif au moindre arrangement, avec une équipe féminisée (Christine Roch remarquable à la clarinette basse, notamment sur « L’Odyssée »), remaniée et dotée de cordes. Non qu’il se fût franchement éloigné : Cartoons, son dernier album, s’occupait de génériques de dessins animés et Soul Cinema ! revenait sur la créativité musicale autour de la Blaxploitation. Mais l’Odyssée du Sacre, capiteuse et psychotrope comme savent l’être la basse de Pallem et la guitare caniculaire de Guillaume Magne sur « Astringent Mouse Trap », c’est la gourmandise d’un orchestre d’alchimiste ; la bande originale d’un film qui n’existe pas et pourtant défile sous nos yeux. Champ, contrechamp, plan américain, des images de toutes sortes s’imposent. Une progression caméra à l’épaule dans la rue hostile de « Death and Life of a Suburban Guy » où les flûtes de Rémi Sciutto se dissolvent dans les claviers vintage de Sébastien Pallis. Un soupçon de lyrisme inondé de lumière dans « L’Odyssée » où soufflants et cordes s’asticotent sans pour autant s’embrasser.

Mais à la fin, c’est toujours la base rythmique qui l’emporte, renverse la table, tient l’arc narratif, renvoie à une certaine réalité, gage de tension. Pour accompagner un son de basse rond et vindicatif dont la sonorité évoque parfois Dave Richmond, on retrouve Vincent Taeger qui n’était pas présent sur Cartoons. S’il est vindicatif, c’est le calme qui prévaut. Dans « Le Village du sorcier », alors que le trombone de Robinson Khoury enflamme un quatuor à cordes où l’on retrouve Séverine Morfin à l’alto, c’est la batterie qui maintient avec autorité la rigueur d’un plan-séquence qui nous entraîne dans l’inconnu avec un enthousiasme communicatif. L’orchestre s’amusait dans le précédent album ; ici il jubile. Les partitions de Pallem sont luxueuses, denses et vont néanmoins à l’essentiel. Plus jamais il ne pèche par l’excès, et « L’Intrus », la pièce la plus longue, en témoigne, notamment par la concision des cordes et la ligne électrique sans surcharge.

Bien entendu, Le Sacre du Tympan garde son potentiel référentiel. Au travers de cette Odyssée, on entend bien sûr des atomes de François de Roubaix, au sommet de la trinité. On ne sera pas surpris d’y noter également du Vannier parsemé de-ci de-là, et sans doute davantage dans « L’Enfant dans la jungle urbaine » où les violons d’Anne Le Pape et Aurélie Branger assurent toute la tension dramatique. Mais plus que jamais et même davantage que pour l’acclamé Sound Trax, le voyage initiatique que revendique ce disque se situe dans la propre psyché de Fred Pallem. S’il y a travelling avant, il est dans son univers musical qu’il arrive parfaitement à modeler dans un album à la fois imposant et modeste, plein de couleurs et d’esprit. Voici le disque qu’on attendait depuis longtemps ; le Sacre est couronné.

par Franpi Barriaux // Publié le 16 décembre 2018
P.-S. :

Fred Pallem (b, comp, dir), Guillaume Magne (g), Sébastien Pallis (cla), Rémi Sciutto (fl, bs, ss), Christine Roch (ts, bcl), Sylvain Bardiau (tp, flh), Robinson Khoury (tb), Anne Le Pape (vln), Aurélie Branger (vln), Séverine Morfin (vla), Michèle Pierre (cello)