Chronique

Todd Neufeld

Mu’u

Todd Neufeld (g), Rema Hasumi (voc), Thomas Morgan (b), Tyshawn Sorey (dms, btb), Billy Mintz (dms)

Label / Distribution : Ruweh Records

Il est des noms qui reviennent sans cesse dans de nombreux orchestres et dont on peine à citer ne serait-ce qu’un seul projet en leader. Le guitariste Todd Neufeld fut de ceux-ci. De Samuel Blaser à Alexandra Grimal et son Andromeda, le jeu doux mais brûlant du New-yorkais, qui sait aussi s’entourer de mystère, est réclamé. Mu’u, premier disque sous son nom, est là pour pallier ce manque en pénétrant dans une atmosphère qui ne nous est pas si inconnue. Publié sur Ruweh Records, fondé conjointement avec la chanteuse Rema Hasumi il y a deux ans, Mu’u se place avec cohérence à la suite des précédents albums du label, à commencer par Utazata qui avait mis en lumière l’univers d’Hasumi. Une esthétique à la fois sombre et très colorée qui cultive le paradoxe en alliant une grande méticulosité dans la combinaison des timbres et une sécheresse attisée par le jeu constant avec le silence (« Entrance »).

Rien d’étonnant à cela. Ce quintet à deux batteries est quasiment le même que celui qui se chargea d’habiller les chants traditionnels nippons dans Utazata. Seul s’ajoute Tyshawn Sorey, dans un formidable travail sur la masse du silence avec son collègue percussionniste Billy Mintz. On le retrouve aussi, et c’est plus rare, au trombone basse sur « Novo Voce » où il s’étreint avec une guitare redevenue caniculaire, voire orageuse. Lorsque les rythmiciens tonnent, dans « C.G.F. », le ton devient plus écorché et la guitare agressive et froide, remplie de rocaille et moins solaire qu’à l’habitude. Mais dès « Contraction » qui lui fait suite, on retrouve cette tension latente qui se tapit dans le silence, les batteurs se partageant les tâches ; les cymbales pour Sorey, les peaux pour Mintz, avec l’excellent contrebassiste Thomas Morgan au centre qui creuse quelques noirs abysses avec une grande économie de notes.

Quant à Rema Hasumi, elle passe dans Mu’u comme un spectre. Elle hante le disque dans le sens où, même lorsqu’elle n’est pas présente, on soupçonne quelques atomes, une trace, un murmure. Elle vocalise parfois sans mots, se mêlant à la parole de Neufeld où elle se déleste de toute pesanteur en chantant au milieu d’un orchestre lui-même très flottant, à peine retenu au sol par les batteurs (« Echo’s Bone »). Mu’u, qui signifier « jouer » en Maori, est la confirmation que cette petite famille de musiciens est à suivre. La musique très poétique, où chaque geste est d’importance, nourrit l’imaginaire et le submerge parfois lorsqu’il se double d’une grande sensualité comme ce « Kira » où la voix de la chanteuse s’insère entre les cordes effleurées de la guitare et de la contrebasse. Troublant.