Chronique

Fred Pallem & Le Sacre du Tympan

Le Sacre du Tympan

Label / Distribution : Train Fantôme

C’est toujours un exercice difficile de parler d’un disque vieux de 20 ans dans un magazine qui l’avait déjà élu il y a 20 ans, notant, sous la plume de Charles Saint-André à propos du Sacre du Tympan que « Peu d’orchestres ont sonné ainsi, avec intelligence, tout en étant aussi accessibles ». Alors digressons ; il y a vingt ans, l’auteur de ces lignes émargeait dans une radio associative où il animait une émission de cinéma qui réservait à la musique une large place. Le disque de Fred Pallem, avec Christophe Monniot qui animait à l’époque les Musiques à Ouïr, avait fait forcément grand bruit… Il se trouve que nous nous piquions de François de Roubaix et d’André Popp, que nous faisions des jingles empruntés à la plupart des musiques de film passés ou à venir qui nourrissait la bande sonore du Sacre. Alors « La Procession des illuminés » et ses citations avortées des dents de la mer, « A l’Ouest » et ses spaghettis piquants furent une épiphanie, et le sentiment qu’enfin, à peu près en même temps qu’Alban Darche qui nous servait Le Thé, le jazz français renouait avec le goût des images. Et un paradigme zappaïen certain (« Et pour quelques fayots de plus »), même si Fred Pallem ne veut pas en entendre parler [1].

Alors, ce disque, qui ressort sans son nounours et sa vieille TV sur la pochette, mais avec une fanfare d’éclaireurs (des mystères) de l’Ouest américain a-t-il tenu le choc des deux décennies ? Pour quiconque de ma génération aura vécu les revivals jazz-rock seventies des années 90 en mode « 20 ans après », rassurons-nous : le temps n’a pas corrodé les premières impressions. Médéric Collignon est toujours phénoménal dans « Une de perdue, une de perdue », et les arrangements de Fred Pallem toujours aussi saisissants ; bien entendu, on pourra noter que l’intro à la guitare de « C’est l’Illyrie madame » sonne très début de siècle. Mais ce serait faire un vrai mauvais procès. On peut surtout mesurer tout ce que cet orchestre a apporté à la scène du Grand Format français et européen, et la finesse d’écriture du directeur de cette belle entreprise que l’on aime à retrouver, d’hommages aux Cartoons jusqu’aux partitions ambitieuses de L’Odyssée. Avec une équipe qui illustrait la brochette de talents à venir, de Matthieu Donarier à Daniel Zimmerman en passant par Fabrice Martinez. Combien sont aujourd’hui des tauliers des grands orchestres hexagonaux ?

Le talent de Pallem, c’est d’orchestrer une mécanique huilée, ouvragée, avec une fluidité rare en lui donnant des airs de joyeux foutoir. C’est une signature qu’il conserve toujours, et ce premier album du Sacre ressemblait fort à une carte de visite. On retrouvera avec plaisir cette musique, qui a le charme des vieilles cuvées et qui ravive de nombreux souvenirs, sans cette nostalgie qui affadit tout, agrémentés d’un travail d’interviews dans le livret qui nous fait revivre cette époque trépidante. À avoir absolument dans sa discothèque, si tel n’était pas déjà le cas.

par Franpi Barriaux // Publié le 20 mars 2022
P.-S. :

Aude Challeat (fl), Yann Martin, Guillaume Dutrieux, Fabrice Martinez (tp), Médéric Collignon (voc, tp), Daniel Zimmerman, Julien Chirol, Pascal Benech (tb), Lionel Seguy (bs), Renald Villoteau (tuba), Fred Gastard (bs, ts, as), Christophe Monniot (ss, as), Mathieu Donarier (ts, ss, cl, bcl), Rémi Sciuto (ss, as, bs, fl), Nicolas Mathuriau (vibes, perc), Ludovic Bruni (g, banjo), Vincent Taeger (d), Fred Pallem (b)

[1Souvenir, là aussi, de ma première interview du bassiste dans un café parisien proche de Montparnasse, en 2005, pour le magazine Full of Sound, aujourd’hui disparu.