Chronique

John McLaughlin And The 4th Dimension

Now Here This

John McLaughlin (g), Gary Husband (kb), Etienne M’Bappé (elb), Ranjit Barot (dms).

Label / Distribution : Abstractlogix

Après To The One publié en 2010, ce deuxième épisode des aventures de 4th Dimension se présente pour John McLaughlin sous la forme d’un sacré bulletin de santé. Comme si les années n’avaient pas de prise de lui – il fêtera bientôt ses 71 ans – le guitariste déploie sur Now Here This [1] une énergie dont les ressorts sont les mêmes depuis bien longtemps, à savoir une quête urgente d’élévation spirituelle au service de laquelle il met sa virtuosité, qu’on a souvent perçue à tort comme une vaine démonstration. Mais en 2012, attention, si l’effet de surprise n’est plus de mise, il y a tout de même comme du revival dans l’air !

Car s’il n’est aujourd’hui en rien révolutionnaire, 4th Dimension est à considérer comme le fils légitime du légendaire Mahavishnu Orchestra né à l’aube des années 70 et dont les deux principales moutures ont produit de somptueux albums. Souvenons-nous de Birds Of Fire en 1972 [2] pour la première, et de Visions Of The Emerald Beyond en 1975 [3] pour la seconde. Des joyaux comme illuminés de l’intérieur, qui distillaient une musique habitée et nerveuse, marqueurs d’un courant musical comme appelle communément jazz rock. Mais Mahavishnu était bien plus qu’un super-groupe aux échappées flamboyantes, emmené par un guitar hero ; c’était pour John McLaughlin un acte de foi, le vaisseau amiral de sa recherche spirituelle. On en avait deviné l’esprit quelques années plus tôt, en 1970, avec My Goal’s Beyond [4], un disque au titre révélateur qui annonçait deux grandes pages des années à venir [5], Mahavishnu d’abord puis Shakti et sa tentative de fusion avec les musiques indiennes, parfois baptisé Indian Fusion.

To The One il y a deux ans et Now Here This aujourd’hui reprennent la route au bord de laquelle s’était arrêté Inner Worlds en 1976, avec la dernière cuvée du Mahavishnu historique des années 70 [6]. Par l’esprit bien sûr – il s’agit toujours de regarder vers le Haut – mais aussi par l’esthétique. Le changement de batteur d’un disque à l’autre (Ranjit Barot, qui n’en est pas à sa première collaboration avec John McLaughlin, remplaçant ici Mark Mondésir) n’affecte en rien la densité du propos et le foisonnement rythmique du groupe est préservé. John McLaughlin est toujours un pourvoyeur de mélodies accrocheuses, dont certains clins d’œil au passé : « Echoes From Then », le bien nommé, retrouve le groove puissant et rageur d’une « Sister Andrea » (1973), et les arpèges introductifs de « Guitar Love » sont ceux de « Lila’s Dance » en 1975 [7]. Son jeu de guitare est habité des mêmes élans qu’autrefois, et si le son de l’instrument a pu évoluer au cours des décennies, en particulier du fait du recours à l’électronique, il conserve intacts son ADN et cette faculté d’engager des courses échevelées et brûlantes vers un ailleurs étoilé. A l’exception de d’une ballade méditative (« Wonderfall »), Now Here This se présente comme une succession de compositions au tempo élevé dont la frénésie est mise en lumière par un trio visiblement épanoui au cœur de cette nouvelle aventure. La paire Etienne M’Bappé / Ranjit Barot n’a rien à envier aux tandems Rick Laird/Billy Cobham ou Ralphe Armstrong/Michael Walden en leur temps, tout simplement parce qu’au-delà de leur talent, cette musique est le vecteur inchangé d’une puissance qui les épanouit naturellement. Au piano comme aux claviers, Gary Husband engage des conversations volubiles avec son leader, comme dans (« Call And Answer », « Guitar Love ») ; son expérience protéiforme dans l’univers du jazz et du jazz rock (souvent comme batteur) aux côtés d’autres grands noms est une assurance sur laquelle McLaughlin peut compter les yeux fermés. Ce 4th Dimension-là est une belle machine dont la mécanique parfaitement huilée n’oublie pas de laisser transpirer la joie intérieure de sa musique.

On l’a compris : loin de ressasser son jazz rock avec complaisance et de le dissoudre dans une musique insipide, John McLaughlin lui insuffle une vraie vie, chargée d’impulsions électriques et pleine d’énergie. Une performance à saluer car le guitariste n’a finalement plus grand-chose à prouver ; avec Now Here This, il nous révèle qu’il est détenteur d’un capital jeunesse dont nous profitons ici des dividendes.

par Denis Desassis // Publié le 12 novembre 2012

[1Le disque, comme son prédécesseur, est publié chez Abstractlogix.

[2Le groupe était alors composé, outre John McLaughlin, de Billy Cobham (batterie), Jan Hammer (claviers), Rick Laird (basse) et Jerry Goodman (violon).

[3Le groupe s’était totalement renouvelé après un split mémorable en 1973 et un disque inachevé, retrouvé 25 ans plus tard et publié sous le nom de The Lost Trident Sessions. Ce deuxième Mahavishnu comptait alors dans ses rangs un certain Jean-Luc Ponty au violon.

[4Douglas Records.

[5Précédemment, John McLaughlin avait travaillé avec Georgie Fame ou Jack Bruce avant de croiser la route de Tony Williams et de Miles Davis, avec lequel il s’illustra notamment sur In A Silent Way et Bitches Brew, deux albums fondateurs.

[6Même si deux disques tels que Mahavishnu en 1984 et Adventures In Radioland en 1986 sont portés au crédit du groupe qui, à cette époque, n’était plus habité des mêmes fulgurances.

[7Cette citation fugitive devient presque un gimmick puisque McLaughlin y avait déjà eu recours sur « To The One » dans le précédent disque.