Chronique

Gianni Lenoci & Francesco Forges

Never

Gianni Lenoci (p), Francesco Forges (fl, voc)

Label / Distribution : Le Petit Label

On se souvient que les Normands du Petit Label avaient exhumé, sept ans après son enregistrement, une rencontre entre le chanteur et flûtiste Francesco Forges et le pianiste Gianni Lenoci autour de poèmes et d’improvisations. Au fond de la nuit était un disque étrange, obsessionnel, marqué par les climats crépusculaires où les ombres se confondent et prennent goût pour la mise en scène. Ces Italiens, discrets créateurs aux collaborations prestigieuses, notamment Lenoci qui a travaillé avec Joëlle Léandre et Paul Bley, reviennent sur le même label avec Never, capté en 2012 par les élèves ingénieurs du son de la Scala de Milan. Peu importe les dates. Elles n’ont pas de prise sur le lyrisme ténébreux qui ponctue la musicalité des syllabes.

Car il s’agit de mots, principalement. La flûte de Forges est peu présente, à l’exception de cet émouvant hommage à la chanteuse Lhasa (« Il neige sur Lhasa »). Dans ce morceau final, le souffle sanglote comme des bribes de mots, à peine ébranlé par les tintements du piano lointain qui semble sonner le glas. C’est l’illustration de la grande théâtralité qui accompagne chacun des titres, à l’instar de ce troublant « Never », poème de Claire Barliant où l’amusement premier se transforme en un ricanement inquiet, à mesure que le piano se fait insistant. Si Forges donne aux textes une lecture où la limite entre l’angoisse et la fascination est parfois très ténue, c’est bien Lenoci qui en choisit le climat. En témoigne le chaleureux « Goodbye », jolie ballade mélancolique où tout est doux alentour ; un sentiment qui se répétera sur « All my Life », composition d’Ornette Coleman.

Mais c’est bien sur les textes en italien que le duo s’arme de la plus belle inspiration. « Alì dagli occhi azzurri », magnifique oeuvre de Pasolini où la flûte ne sert qu’à appuyer une scansion pleine de rythmes rageurs, en est le sommet qui mérite à lui seul qu’on s’intéresse à cet album. Libéré par l’usage de la langue maternelle, Lenoci se fait explosif et pousse son compagnon dans des retranchements qui habitent absolument le texte (« Di la dal ponte de la ferrovia » de Pagliarani). Never est un disque brut, où l’électronique du précédent album a disparu pour ne laisser qu’une vraie délicatesse, franchement séduisante.