Chronique

Hugues Mayot

L’Arbre Rouge

Hugues Mayot (sax, clar), Sophie Bernado (basson), Théo Ceccaldi (v), Valentin Ceccaldi (cello), Joachim Florent (b)

Label / Distribution : BMC Records

Dans 12 Monkeys, série de type Z à popcorn, tirée du film analogue de Terry Gilliam, lui-même tiré du chef-d’œuvre de Chris Marker La Jetée (un bonheur pour les penseurs en escaliers et les amoureux de la Société du Spectacle), les arbres rouges sont le signe que les voyageurs temporels sont bloqués dans une boucle, une sorte de révolution copernicienne où la frise s’échappe et où le temps est replié sur lui-même, au point qu’il n’y a qu’un coup d’aiguille entre l’Inquisition et la Prohibition. Entre la musique ancienne et le jazz, sans doute aussi. L’Arbre Rouge, le quintet d’Hugues Mayot fait-il partie de ces « Âmes Errantes » égarées mais combatives ? À entendre « Inside The Mirror », délicieux ouvrage de timbres où les cordes des frères Ceccaldi se lovent dans les anches triples de Mayot et de Sophie Bernado, on pourrait s’y méprendre : tout commence dans une architecture très ajourée, une rosace faite de motifs répétitifs et minimalistes. Et puis lorsque le basson se retrouve face à la contrebasse de Joachim Florent, les liens se resserrent, deviennent plus concertants et empreints de Renaissance, tout en ne perdant rien de leur douceur.
 
Les arbres peuvent rougir, mais ce n’est certainement pas du fait de la « Timidité des Cimes ». Comme dans les forêts primaires, de minuscules saignées sur la canopée marquent la distance nécessaire entre les arbres. Ici entre les musiciens. Il y a une proximité, voire une intimité des timbres, mais c’est dans les interstices que se façonne la poésie. De derrière le basson jaillit parfois la stridence d’une clarinette. Entre les cordes qui forment un magnifique trio où Théo Ceccaldi apporte sa sonorité de plus en plus sépulcrale, il y a le même type de relation, à la fois pièce centrale galvanisée et collective mais aussi ouvert à toutes les tirades individuelles. Dans le plus long « En souvenir d’une Terre », à la fois tendre et nostalgique, après des réminiscences de jazz dans une étreinte de Mayot avec son orchestre qui fera songer à ce que Vincent Courtois propose avec Robin Fincker, Valentin Ceccaldi et son frère transforment cette atmosphère onirique en quelque chose de plus abstrait. Le continuum spatio-temporel frétille encore.

L’Arbre Rouge existe depuis des années, mais il aura fallu attendre ce premier album paru chez BMC (fort logiquement, tant l’esthétique correspond au label) pour que se confirme le talent d’écriture d’Hugues Mayot. Chaque morceau est travaillé avec une grande minutie, et la personnalité de chacun est mise en avant. L’Arbre Rouge réunit en son sein plusieurs histoires : Ikui Doki évidemment, car la tentation chambriste est forte dès « Chant d’Insouciance », mais aussi Radiation 10 dont on conserve l’énergie tout en écartant les pourtant excitantes morsures nocives. Quant à la relation avec Théo Ceccaldi, elle est née dans l’ONJ d’Olivier Benoit, dont la matrice n’a pas fini de renouveler le jazz et la musique improvisée hexagonale. L’Arbre Rouge est un disque d’amitié et de tendresse. On en perçoit instantanément les effets.