Sur la platine

Guy-Frank Pellerin, Théo Jarrier et l’improbable louphoque

L’Improbable Louphoque est une chevauchée au long cours en duo dans des synapses de cinéphiles


Lors d’un concert aux Instants Chavirés, Théo Jarrier discutait avec Guy-Frank Pellerin, au bar, un verre à la main. J’imagine qu’ils se connaissaient déjà bien.
Quelques années plus tard, quatre plages étonnantes sont mises en ligne avec Guy-Frank Pellerin aux sax (ténor, soprano, sopranino) et Théo Jarrier qu’on connaît davantage dans ses activités de disquaire et de patron du label Souffle Continu. Parmi ces pièces, « L’Improbable Louphoque ».

J’avais déjà vu Théo Jarrier lors d’un concert à l’Echangeur en 2009, tenir les baguettes de sa batterie. Ce n’est donc pas une totale surprise.

S’agit-il d’un enregistrement d’amitié ? Certainement, mais c’est aussi bien plus que cela.
Des crépitements, des clochettes, des frappes sourdes pour lever le voile.

Et très vite, Guy-Frank Pellerin nous assène de grands jets sonores, des cornes de brume puissantes, aussi surprenantes que des torpilles qu’on ne voit guère arriver, propulsées par deux sax. C’est le début d’un dialogue qui réserve bien des surprises.

Théo Jarrier y répond sur ses peaux mais aussi par ses ponctuations vocales, des claquements de langue, des caquètements, des interjections. Le discours du sax se fait feutré, languide, avec des dérapages, alors que la batterie continue son travail de sape.
Retour des sons multiples aux sax, puissants, lacérant l’espace, toujours ponctués par la voix de Théo Jarrier.

Vers le milieu de la pièce, les notes du sax se font rares puis absentes, faisant croire à la fin de la plage. La batterie distille quelques frappes, alternant douceur et force ; elle redonne progressivement corps à la musique. Pellerin revient alors avec ses plaintes, ses cajoleries, son lyrisme, accompagné par les coups assourdis de la batterie.

Le jeu de Théo Jarrier s’intensifie ; il évolue vers ce qui devient progressivement une sorte de chevauchée au long cours, inlassable, obsédante, toujours ponctuée de vocalisations diverses. On imagine aisément les images de cinéphile qui traversent ses neurones. Guy-Frank Pellerin se saisit de cette tension croissante pour lancer ses salves puissantes, acides, instables, ses matières sonores à fragmentation, bouleversantes, fascinantes.
S’ensuit alors un dialogue étonnant : Théo Jarrier vocalisant le rythme à la manière des percussionnistes indiens, Guy-Frank Pellerin s’en faisant écho, puis après quelques échanges, reprenant les jets de ces sons multiples puissants… et nos deux amis s’en vont. Ils nous laissent là, pantois, surpris, ravis.

Bien après l’écoute, notre mémoire nous restitue à l’improviste certains moments de cette pièce, accompagnés d’un sourire lorsqu’on les reconnaît. Une forme de prégnance du plaisir.

Pour parfaire notre plaisir, trois autres enregistrements nous sont proposés :
Évolution
Éléments
Inner worlds

À inscrire dans vos onglets.

par Guy Sitruk // Publié le 24 novembre 2019
P.-S. :