Chronique

Ivo Perelman Quartet

String 4

Ivo Perelman (as), Mat Maneri (cello), Nate Wooley (tp), Matthew Shipp (p)

Label / Distribution : Leo Records/Orkhêstra

Dans ce volume, on retrouve le personnel de String 3 (Ivo Perelman, Mat Maneri, Nate Wooley) plus Matthew Shipp. Quelles différences ce dernier apportera-t-il ? Nate Wooley jouera-t-il encore le trublion ?
Dans « Part 1 », les timbres des cuivres et de l’alto (le String 3) s’épanouissent, un riche éventail de textures sonores s’ouvre, des phrases bourgeonnent, des efflorescences de discours. Le piano paraît bien plus sage, presque conventionnel, apportant douceur et harmonie, perlant les circonvolutions de la trompette ou du sax.
Le duo Perelman-Maneri nous régale en ce début de « Part 2 », bien vite rejoint par la trompette de Nate Wooley, alors que Matthew Shipp se fait plus percussif. Aux éclats, aux turbulences vrillantes, aux corolles de timbres irisés du String 3, le piano apporte les riches vibrations de ses cordes, de ses bois, ainsi que ses douces couleurs mélodiques. Cet apport se renforce dans « Part 3 », entraînant la pièce dans un lyrisme collectif, quasi langoureux, avec des glissandi qui rappellent certains moments du Swing.
L’amorce de « Part 4 » se fait aux cuivres, d’une manière torturée, tournoyante, puissante, entraînant les cordes frappées et frottées. Comme un kaléidoscope nerveux se met en place, des questions sans réponses, des éclats divergents. Quand la tension fait mine de s’amoindrir, le discours du sax se fait plaintif, vibrant, avec un soupçon d’éruption gillespienne, alors que des tourbillons enchevêtrés se développent en parallèle, que le piano assène des accords graves, une forme de tocsin.
Mat Maneri vient marquer « Part 5 » d’un solo particulièrement expressif, créant un flux qui emporte le reste du groupe. Une répétition entêtante au piano, reprise au sax et à l’alto, ponctuée à la trompette, fait bifurquer le quartette vers une autre forme de douceur, vers la tendresse.

Cet album nous réserve bien des cheminements, souvent éclatés, instables. Des séquences inattendues, des combinaisons de timbres riches, chatoyantes, brossent une fresque qui focalise l’attention, qui hypnotise souvent. Dix pièces à la fois bien différentes et aux atmosphères voisines.
C’est une forme de musique qui semble s’éloigner du free, de sa violence contestataire. C’est une sorte de post-free revisité, assez distinct des musiques improvisées d’ici. La richesse des timbres y est consubstantielle à la narration. Une grande place est laissée à l’expressivité. La mélodie n’y est pas proscrite, pas davantage que les échos d’un jazz révolu. La plasticité des esthétiques est familière à ces quatre transgresseurs.
Matthew Shipp, le petit nouveau par rapport à String 3, apporte en début d’album plus de couleurs familières que les trois autres. Mais au fil des plages, la dynamique même du groupe impose une large part du cheminement. Il est, en effet, à noter qu’en l’absence de thème, ce sont souvent les premières phrases qui vont impulser la musique du groupe avant qu’une autre, par la magie de l’instant, par les mystères de l’osmose, ne la remplace dans ce rôle. Une sorte de cheminement imprévisible où chaque événement peut devenir source de bifurcation, un peu à la manière des mouvements des bancs de poissons, sans dispersion des individus.
Un moment de musique collective étonnant, servi par un quartette de haute volée.

par Guy Sitruk // Publié le 9 février 2020
P.-S. :

Tout comme pour String 3, une vidéo playlist est disponible.
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