Chronique

Harlem à Limoges

Sous la direction d’Anne Legrand

Une histoire du jazz à Limoges.

Il est des endroits en France qui sont devenus des centres de rayonnement de la culture jazz, par simple imposition des mains.
Souillac et Sim Copans, Villefranche-de-Rouergue et Hugues Panassié [1] et, pour ce qui nous importe ici, Limoges et Jean-Marie Masse sont trois histoires parmi d’autres qui lient une ville avec l’un de ses habitants. Dans tous les cas, ces fondus de jazz ont légué leurs collections aux bibliothèques municipales qui font ce qu’elles peuvent, avec peu de moyens.

Ici, l’intervention d’Anne Legrand, spécialiste de ce genre d’opération (elle a réalisé un travail colossal et similaire avec le fonds Charles Delaunay) a consisté en la sauvegarde de documents uniques, leur transmission à la BNF et la mise en place d’un cycle d’exposition « Harlem à Limoges ».
C’est à partir de ce matériau qu’à été réalisé ce catalogue. Une quinzaine de contributeurs ont participé à la rédaction des articles, qui évoquent la vie de Jean-Marie Masse, des concerts à Limoges et de la fondation de son Hot-Club, de la présence effective de nombreux musiciens de jazz (on parle ici du style swing… la frontière esthétique de Jean-Marie Masse est tracée en 1940, il ne la franchira pas).

On y découvre un bon nombre de documents inédits et passionnants, comme les lettres manuscrites de Willie Smith, pianiste dont le surnom « The Lion » lui venait tout droit des tranchées de 14-18, alors qu’il était major du 350th RI dont l’orchestre, surnommé The Black Devils et dirigé par Tim Brymn, a connu la renommée dans les tranchées comme sur les scènes pour permissionnaires.
L’amitié entre Masse et un certain nombre de musiciens africains-américains, comme Willie The Lion Smith, est typique de cette époque où la ségrégation sévissait aux USA. A venir jouer en France et être reçu comme des princes, les musiciens ont vite noué des liens d’amitié indéfectibles avec ces amateurs dévoués à leur musique.

C’est toute cette histoire, la petite et la grande, qui se présente dans ce livre qui, même s’il est édité avec le soutien appuyé de la Ville de Limoges, ne parle pas du jazz limousin mais bien de jazz au sens culturel.

Harlem à Limoges : Radio shows (1949-1956).
Compilation Ville de Limoges

Avec le livre – catalogue amélioré de l’exposition, est édité un CD à partir de disques originaux et inédits, enregistrés par Jean-Marie Masse lors de ses émissions pour Radio Limoges. Quelques amis enregistrés sur le pouce, Claude Bolling, Buck Clayton, Guy Lafitte, Mezz Mezzrow, Willie The Lion Smith, Albert Nicholas, Don Byas, Bill Coleman, Lionel Hampton pour ne citer que les leaders. Un seul titre suffit à évoquer l’ensemble : « St James Infirmary », joué et chanté par Bill Coleman en 1952, avec Zutty Singleton à la batterie. Une merveille de blues.

par Matthieu Jouan // Publié le 1er juillet 2018
P.-S. :

La catalogue est en vente ici

[1On sait que Panassié a fort peu vécu à Villefranche-de-Rouergue (il y a seulement fréquenté le lycée) et n’a pas légué son fonds à la ville : il s’était retiré à Montauban et c’est sur une initiative de Robert Fabre, le maire, que la ville de Villefranche-de-Rouergue a acheté le fonds, mis en vente par les héritiers.