Chronique

Heinz Sauer + Michael Wollny & Joachim Kühn

If (Blue) Then (Blue)

Heinz Sauer (ts), Michael Wollny (p, Fender Rhodes), Joachim Kühn (p)

En 2005 et 2006, Heinz Sauer et Michael Wollny enregistraient coup sur coup deux superbes albums, Melancholia et Certain Beauty.

En 2009, toujours chez ACT Music, sortait Live at Schloss Elmau, confrontation fusionnelle entre Michael Wollny et Joachim Kühn. Juste après, ce nouveau disque ferme le triangle en rassemblant le saxophoniste et les deux pianistes sous la houlette de Siggi Loch, président d’ACT et producteur. Curieusement, c’est le benjamin Wollny, né en 1978, qui fait charnière entre les deux vétérans du jazz allemand, Sauer, né en 1932 et Kühn, en 1944, qui n’avaient jamais enregistré ensemble.

Si Joachim Kühn est un familier du public français, si Michael Wollny a commencé à se faire un nom, on connaît mal Heinz Sauer chez nous… et on ne sait pas ce qu’on perd ; compagnon de route d’Albert Mangelsdorff et d’Alexander von Schlippenbach, membre du Globe Unity Orchestra de 1967 à 70, ce défricheur du free jazz germanique se distingue, ici exclusivement au sax ténor, par un son fortement texturé, riche en harmoniques, et un jeu d’une remarquable plasticité : tout dans le souffle sur « All Blues », sinueux sur « Tantricity », il peut évoquer dans « In A Sentimental Mood » un Sonny Stitt qui serait passé par la case free…

Aux trois titres déjà énoncés, on aura compris le concept : creuser des classiques du jazz et les émailler d’improvisations « maison », le tout sous forme de courts éclats : entre deux et quatre minutes pour l’essentiel. Cinquantenaire de « Kind Of Blue » oblige, Miles Davis se taille la part du lion avec « All Blues », « Flamenco Sketches », « Blue In Green », talonné de près par Duke Ellington (« In A Sentimental Mood » et « Sophisticated Lady »), et un standard « vrai-de-vrai », « Lover Man », méconnaissable mais bien présent dans une exposition éclatée au saxophone qui surgit à mi-plage.

Trois musiciens pour deux duos : les pianistes ne jouent pas simultanément mais alternent, plus ou moins régulièrement, au piano (et au Fender Rhodes pour Wollny sur « Actors »). Pour autant, l’enregistrement ne s’est pas fait séparément : Kühn et Wollny étaient là et l’ordre des plages a été conservé pour mieux nous faire apprécier l’influence exercée, au fil de la session, par l’un sur l’autre et vice versa. Le jeu si caractéristique de Kühn [1] semble ici se recentrer peu à peu sur une tonalité « jazz-jazz », peut-être par complémentarité avec Wollny, qui confirme son goût pour les ambiances crépusculaires et les excursions pop gothiques [2], flirtant avec des harmonies à la Gainsbourg/Vannier période Melody Nelson sur une mélodie qui rappelle « Naima » (« Still Around Redford »). De même, Kühn explore d’autant plus les basses de son clavier à mesure que Wollny recherche les harmoniques hautes et joue sur les cordes.

En dépit de la forte personnalité des deux pianistes, c’est bien Heinz Sauer qui s’impose comme leader, sans étalage de virtuosité, en posant simplement son discours plus qu’il ne l’impose, avec une autorité calme, calée sur le tempo medium de l’album dans son ensemble. Un disque auquel manque peut-être un peu de tension, un peu de rivalité pour être vraiment grand, mais où l’amateur de jazz trouvera son content de subtiles digressions.

par Diane Gastellu // Publié le 11 octobre 2010

[1On reconnaîtra des traces de son « Transmitting » dans l’improvisation « Lost Silhouettes »

[2Cf. son Wunderkammer