Chronique

Horace Tapscott Quintet

The Quintet

Horace Tapscott (p), Arthur Blythe (as), Dave Bryant (b), Walter Savage (b), Everett Brown Jr. (dm)

Label / Distribution : Mr Bongo

« J’ai vu le sang sur les touches du piano / Je suis Horace Tapscott et je ne suis pas à vendre », ainsi s’exprimait le poète Kamau Daaood à propos du pianiste de Leimert Park, Los Angeles. Louée soit la maison Mr Bongo d’avoir réédité ces enregistrements du légendaire pianiste, que le producteur Bob Thiele, l’homme aux manettes derrière les grands succès du label Impulse !, avait supervisés en 1969 pour Flying Dutchman - une maison de disques aux positions radicales, produisant aussi bien Gil Scott-Heron que des discours d’Angela Davis. Or le disque n’est finalement pas distribué, apparemment à la demande de Tapscott lui-même qui, malgré le succès de son précédent opus, s’estime floué par le jazz-business. Alors qu’on le voyait comme un géant en devenir du jazz West-Coast, c’est après cette session qu’il se vouera à un jazz d’obédience communautaire avec notamment le Pan-Afrikan People’s Arkestra - il avait préalablement fondé l’Underground Musicians and Artists Association, l’UGMAA.

Les pistes réunies ici donnent à entendre un jazz en colère, à la fois spirituel et tellurique, percussif et mélodieux. Au piano, Horace Tapscott a quelque chose d’un chamane, convoquant les esprits de ses prédécesseurs, retrouvant les accents bastringues d’un juke-joint de l’entre-deux-guerres sans ignorer quelque préciosité que n’aurait pas dédaignée un concertiste classique. Simultanément pudique et libre, digne et border-line, son jeu hors norme a quelque chose d’un manifeste afro-américain : depuis les émeutes de Watts en 1965, Tapscott s’est rapproché du Black Panther Party. Sa propre composition, « Your Child », est une ode à la parentalité d’une puissance émotionnelle dévastatrice. Les deux contrebasses, dont l’une est jouée arco et l’autre pizzicato, déploient des vibrations d’une profondeur insondable. Au saxophone alto, Arthur Blythe souffle des désirs de liberté insurrectionnels et poétiques. Quant au batteur, son jeu démultiplié accentue l’aspect cyclique des séquences musicales. Les trois compositions présentes ont beau avoir été enregistrées il y a un peu plus d’un demi-siècle, elles n’en sont pas moins emplies de ces vibrations qui font les meilleures légendes du jazz.