Isabel Sörling
Rencontre avec une vocaliste improvisatrice de la scène européenne.
Photo : Michel Laborde
Née en Suède à Ulricehamn, en 1987, Isabel Sörling vit et travaille en France, participe à de nombreux projets musicaux et transdisciplinaires (Airelle Besson Quartet, Paul Lay, Cabaret Contemporain, Paul Anquez, Bribe4, Clément Édouard, Cirque Farouche…). Souvent associée à sa consœur Linda Oláh, elle s’en distingue pourtant par une couleur plus claire, une appétence pour les textes poétiques et les contextes classiques (sans se priver de chanter parfois de la pop). Elle présente son parcours et ses différents projets. En quelques années, elle a déjà enregistré plus d’une quinzaine de disques sous son nom ou au sein de projets collectifs et a participé à une dizaine d’autres projets, y compris des musiques pour le cinéma et des disques pour enfants.
Capable, donc, de passer de la comptine pour enfant en suédois à un chant folklorique de la guerre de Sécession, la vocaliste se moque des frontières, des genres et surtout de la routine.
Que fait une chanteuse suédoise dans l’avant-garde du jazz français ?
Je suis venue en France en 2010 pour étudier au CNSM, sur un élan. Mais au fil des ans, j’ai rencontré de nombreux musiciens français et je suis restée. Sept ans plus tard, cet élan me fait vivre à Paris et travailler ici.
Je suis une improvisatrice, dans la musique comme dans la vie. J’ai toujours suivi mes intuitions et mes envies. La musique est énergie et lorsque je ressens cette énergie dans les projets musicaux, alors je sais que j’y suis à ma place. L’univers musical français me procure ce sentiment. Les musiciens d’ici sont ouverts d’esprit, créatifs et énergiques. J’ai souvent été confronté à la nouveauté, l’inconnu et j’aime ça.
- Isabel Sörling, Airelle Besson. Photo Gérard Boisnel
- Quel est l’élément qui déclenche votre notoriété grandissante depuis trois ou quatre ans ?
Je joue beaucoup depuis quatre ans, surtout avec Airelle Besson, Paul Lay et le Cirque Farouche. Et j’ai surtout plus souvent travaillé en France qu’en Scandinavie. Je pense que c’est ce qui explique cette nouvelle notoriété. Maintenant, je viens de m’installer à Paris et je travaille sur mon prochain album solo, sur lequel je compte beaucoup.
Je me sens libre, libre d’improviser et de prendre des risques
- Quelle est votre place dans le trio de Paul Lay, dans le quartet d’Airelle Besson ?
Le trio de Paul est tout centré sur la dynamique. Nous jouons ensemble depuis plusieurs années et nous avons instauré une communication basée sur l’écoute et la sensibilité, qui est passionnante. Dans le quartet d’Airelle, nous cherchons à créer de nouveaux univers, à défricher de nouvelles voies à chaque concert. Dans ces deux projets je me sens libre, libre d’improviser et de prendre des risques avec mon expression vocale.
- Comment trouvez-vous le nouveau répertoire du trio de Paul Lay, celui des chansons américaines de la fin du XIXe siècle et début XXe ?
Je suis touchée par ce répertoire. J’ai ressenti une connexion naturelle avec les chansons qui me remuent profondément. Je m’y sens ancrée.
- Vous écrivez des textes et composez aussi de la musique. Est-ce qu’il est indispensable pour vous d’avoir des paroles sur la musique ?
Non, pas du tout. J’ai sûrement plus l’habitude de chanter sans paroles qu’avec. Les mots ajoutent un élément à la musique, comme avoir un second instrument à disposition. Je suis sensible aux poèmes et aux paroles, particulièrement les textes des chansons de tradition populaire. Cela peut être très émouvant de se sentir en résonance avec le texte que tu chantes. Mais je me sens à l’aise dans les deux cas et je n’ai pas le sentiment d’y perdre en chantant sans paroles.
- Lorsque vous improvisez, utilisez-vous encore des mots ?
Jamais. Ce sont toujours des mélodies, des bruits. Mes improvisations sont sans paroles, sauf si je suis au milieu d’une chanson et que quelques mots me restent en tête, je peux jouer avec, improviser avec.
- On vous compare parfois à Janis Joplin, en raison de votre jeu de scène, qu’en pensez-vous ?
J’ai déjà entendu ça : la Janis Joplin du jazz ! La comparaison m’honore car je trouve que c’est une très grande artiste et performeuse.
- Comment expliquez-vous cette complémentarité avec Linda Oláh comme chanteuses ?
Je pense que c’est avant tout parce que nous sommes toutes les deux suédoises. Nous avons les mêmes références musicales et culturelles, nous avons donc une approche musicale similaire. Nous sommes aussi très amies. C’est pour ça qu’il nous est facile de nous remplacer l’une et l’autre dans nos projets, pour pallier notre impossible ubiquité.
Nous sommes connectées au même circuit franco-suédois, nous avons partagé plein d’expériences ensemble, sur le plan professionnel comme privé : nous sommes un peu comme deux sœurs. De plus, nous vivons toutes les deux en France et nous avons des projets en commun ; je suis vraiment ravie de cette rencontre.
Et puis, au moins, il y a une personne avec qui je peux chanter en suédois !
- Le groupe Farvel est lié à votre histoire depuis 2012, que pouvez-vous en dire ?
Farvel est le premier groupe que j’ai assemblé sous mon nom, à la demande de l’école de musique scandinave, pour l’événement Young Nordic Jazz Comets. Et nous avons continué et réalisé trois albums, dont deux sur le label de Bugge Weeseltoft, Jazzland. Le nom original du groupe - Isabel Sörling Farvel – répondait aux exigences de l’événement Young Nordic Jazz Comets. J’ai voulu le modifier ensuite pour bien marquer l’aspect collectif du groupe. Farvel me tient à cœur et j’aime le langage musical que nous avons créé. Cela fait sept ans que nous jouons et nous formons une petite famille, sociale et musicale.
- Quant à Soil Collector ?
Soil Collector est un groupe avec lequel aucune idée n’est jamais trop folle ! Nous avons toujours été curieux d’explorer différentes manières de communiquer notre musique. Nous avons collaboré avec des danseurs, des vidéastes, un designer de masques et nous avons réalisé un court métrage « Foreign Soil ».
Il s’agit plus d’un collectif artistique que d’un groupe de musique. Donovan Von Martens, qui en fait partie, est vidéaste et travaille la lumière. Cette année, nous travaillons sur une adaptation libre de la nouvelle La Métamorphose, de Franz Kafka, dans une perspective pluridisciplinaire. La première a lieu à Göteborg en mai.
Sur scène, toute conscience de la connaissance disparaît
- Avec Something Came With The Sun, vous collaborez avec Ibrahim Maalouf. Comment cette rencontre a-t-elle eu lieu ?
Ibrahim et moi avons été invités par Anne Paceo pour participer à un concert, il y a des années déjà. Ce fut notre rencontre. Puis nous avons collaboré ; il a notamment arrangé et produit des chansons pour mon album Something Came With The Sun, sorti en 2013.
- Isabel Sörling par Cécile Mirande-Broucas
- Votre tessiture est particulièrement large et surtout les couleurs de votre voix sont très variées, comment travaillez-vous cela ?
J’ai toujours considéré ma voix comme un outil de communication. Pendant mes études, j’ai cherché à pouvoir développer une grande technique qui me permette la liberté de chanter exactement ce que j’entends dans ma tête. Je reste influencée par toutes sortes de musiques, je crois que cela m’inspire pour créer les différentes couleurs et expressions.
Sur scène cependant, toute conscience de la connaissance disparaît. Je ferme les yeux et j’écoute la salle, je suis mon instinct et je me jette à l’eau pour voir ce qu’il se passe…
- Que vous apporte le traitement électronique sur scène ?
Je me suis rendu compte que les pédales d’effet étaient comme une extension de ma voix, un nouvel outil. Avec, je peux obtenir différents effets, en fonction des contextes musicaux. Je peux m’éloigner de ma propre voix ou utiliser la pédale pour l’augmenter. C’est très intéressant, même si parfois, à force d’utiliser mes pédales, je me sens complètement nue sans elles. Il faut que j’arrive à trouver un équilibre, avec et sans effets.