Tribune

Jacques Higelin (1940 - 2018)

« Je suis mort, qui qui dit mieux »


Jacques Higelin (c) photo Michel Laborde

Difficile de ne pas saluer l’autre fou chantant sur Citizen Jazz, tant il devait sa vocation à cette musique. Chopant les carcans et explosant la soupape, ou l’inverse, Higelin a plus que vécu sa vie, il l’a rêvée en public pendant 50 ans, faisant de ses improvisations, sa touche en plus.

Entamée sous l’égide de Vian, née « dans un spasme » (avec l’impétueux « Je suis mort, qui qui dit mieux »), elle ne pouvait qu’ironiquement durer, cette carrière. Il a fallu en casser des cailloux à Cayenne pour la déformater, lui donner cette liberté, sur plus de cinq décennies. Ce 6 avril, les dépêches trop pressées titraient « mort d’un rocker ». Erreur ! Comme si remplir Bercy avait été son Graal. Ceux-là se trompent. Enormément. Jacques, c’est le jazz.

Entendez bien. Révélé chez Canetti et Barouh, Crabouif a préféré chanter dans sa langue (voire dans un scat anglais de sa composition, à retrouver dans toute version de « Hold Tight »). Adulant Bechet et Trenet, Nat King Cole, Duke Ellington, Leo et Charlie Parker, faisant un enfant à Areski et Fontaine époque Art Ensemble of Chicago et lorgnant, aidé par la grâce taiseuse mais indispensable de Dominique Mahut, du côté des musiques des pays africains, celle d’Higelin est un paradis païen qu’il serait incongru de localiser en terre rock sinon pour l’énergie électrique dont elle s’inspire.

Jack in the box avait dans son jukebox et ses oreilles d’enfant des mélodies soufflées, des pulsions du corps et des anches voluptueuses qu’il a empoignées dès l’enfance pour les jouer d’abord au piano à l’instinct, puis à l’accordéon avant même la guitare, avec un amour de la vie qui l’a amené à ne jamais prendre ses instruments pour des fusils. Sa chanson la plus rock est un ardent solo de piano de 10 minutes qu’il a balancé à la face des chacals et des requins – « Alertez les bébés » sur l’album du même nom en 1976.

Matthias Mahler, qui « sort (s)on trombone » dans une récente et chatoyante « Mona Lisa Klaxon » (au Zénith, en 2010), Sarah Murcia, la basse féminine et féline de ses derniers disques, ou quiconque l’ayant vu sur scène se lancer dans d’inénarrables impros-joyaux, savent qu’il était bon de le voir ne pas finir ses concerts. Jacques, Demain ce s’ra vachement mieux, reste encore un peu.