Portrait

Javier Red, le pianiste qui aimait les dinosaures

Le pianiste mexicain incorpore Messiaen dans son processus d’écriture.


Javier Red @ Monica Garcia

Lorsque l’album Ephemeral Certainties sort en 2019 chez Delmark, le pianiste Javier Red est une sorte d’OVNI dans le ciel de Chicago. Le Mexicain, de son vrai nom Javier Reséndiz, n’est pourtant pas un néophyte. Il vient simplement de débuter une seconde carrière dans son nouveau pays d’adoption.

Imagery Converter @ Paul Crisanti

Javier Red vient de Mexico. Parce qu’enfant il se passionne pour les dinosaures, son père lui fait découvrir Fantasia, le film de Walt Disney, pour la séquence illustrant l’extinction de ces animaux préhistoriques sur la musique du Sacre du Printemps de Stravinsky. Cette expérience le marque et son amour de la musique du compositeur russe perdure encore aujourd’hui.

Après un début de carrière au Mexique, un déménagement à Chicago en 2015 pour raisons professionnelles – il travaille dans le secteur de la technologie – l’oblige à repartir de zéro. Il n’est pas mécontent de ce choix. « J’allais toujours à New York pour écouter du jazz, dit le pianiste. Toutefois, je savais que Chicago avait une scène active, notamment pour le free jazz. Je ne suis pas vraiment un praticien du free, mais j’apprécie et respecte cette musique. »

Igor Stravinsky reste une influence majeure

Rapidement, Javier Red se lie d’amitié avec le batteur Gustavo Cortiñas, lui aussi né et grandi à Mexico. Il entretient également des échanges réguliers avec le saxophoniste Steve Coleman – qu’il considère comme son principal mentor – après avoir participé à plusieurs de ses ateliers organisés à Chicago. « À mon avis, c’est un inventeur hors du commun, déclare-t-il. Personne n’évolue dans un univers rythmique comparable au sien, pas même les musiciens qui jouent avec lui. Sa contribution touche à la musique dans son ensemble, pas seulement au jazz. »

De surcroît, Igor Stravinsky reste une influence majeure. Le pianiste le cite dans « Thoughts Unable to Be Contained » qui ouvre son dernier album Life & Umbrella (Desafio Candente Records). Les aspects primitifs et intuitifs des premières œuvres du Russe n’ont rien perdu de leur force à ses yeux. Ce récent disque met également en avant son admiration pour un autre compositeur, Olivier Messiaen, qu’il utilise dans son processus créatif. « Entre les deux albums, j’ai cherché à développer des connaissances que je ne possèdais pas, explique-t-il. Je me suis plongé dans la musique de Messiaen pour comprendre son approche du rythme et la manière dont il agence les sons. » S’il ne trouve pas les partitions, il réalise des transcriptions d’enregistrements qu’il analyse pendant des semaines.

Imagery Converter @ Eugenio Reséndiz

Life & Umbrella propose douze compositions anguleuses et stimulantes jouées par un groupe de plus en plus soudé qui parvient à négocier avec aisance leur complexité et leurs méandres. Javier Red a formé Imagery Converter pour donner vie à sa musique. Outre Cortiñas, la formation inclut le contrebassiste Ben Dillinger et le saxophoniste ténor Jake Wark.

La musique constitue un moyen de communiquer avec une personne autiste

À travers ce nouvel opus le pianiste souhaite sensibiliser le public à l’autisme – son fils de 15 ans est victime de ce trouble – afin qu’il manifeste davantage de compréhension. « La musique constitue un moyen de communiquer avec une personne autiste, confie-t-il. Étant proche d’un tel individu, je vois ce que d’autres ne voient pas. Je suis par exemple conscient de la patience dont il faut faire preuve vis-à-vis d’eux. »

À la différence d’Ephemeral Certainties, produit par un label connu, ce nouvel album est autoproduit. Si Javier Red est plein de gratitude envers Julia Miller et Elbio Barilari, les patrons de Delmark Records, parce qu’ils lui ont fait initialement confiance, son envie de liberté a pris le dessus.
« Delmark ne travaille pas avec Bandcamp et je souhaitais avoir le maximum de canaux ouverts, dit-il. D’autre part, le label possède les droits et je ne veux pas demander une autorisation à chaque fois que je veux faire quelque chose, notamment au Mexique. »

Ce nouvel envol marqué par une volonté d’apprendre et d’explorer de nouvelles possibilités ne doit pas effacer le passé du pianiste. L’Ethos Trio, qu’il a formé au Mexique il y a une vingtaine d’années avec le batteur José Gurría et le contrebassiste Arturo Luna, est la prémisse d’un artiste en devenir. Les deux albums du groupe, Ethos (Urtext Digital Classics) et Volvox (La Mancha Móvil), proposent en effet une musique hors des sentiers battus qui mérite d’être découverte, mêlant les compositions originales et les standards réinventés.