Portrait

Lesley Mok joue avec la respiration

Figure montante de la scène new-yorkaise, lea jeune batteur·se sort son premier enregistrement.


Lesley Mok @ Tarishi Gupta et Dana Akashi

Si remplacer Susie Ibarra au sein du Fire & Water Quintet de Myra Melford ne suffisait à démontrer la valeur de lea musicien·ne américain·e, son premier album The Living Collection est l’aboutissement d’une profonde réflexion et d’une vision claire.

Lesley Mok @ Avec l’aimable autorisation de Terrorbird Media

Lesley Mok vient de San Mateo au sud de San Francisco. L’étude de la musique commence par le piano dès l’âge de quatre ans, avant de passer à la flûte et enfin à la batterie. Paradoxalement, c’est en écoutant des chanteuses telles que Sarah Vaughan ou Nancy Wilson que naît un intérêt pour cet instrument. « L’expressivité viscérale de la batterie m’a d’entrée attiré, affirme-t-iel. J’aime le contrôle et la force qu’elle donne pour diriger une formation ».

La fin des études secondaires marque le départ pour Boston et cinq ans d’études au Berklee College of Music. « J’ai eu la chance de côtoyer de fabuleux professeurs », indique Lesley Mok. Parmi eux, le pianiste Danilo Pérez l’influence en raison de sa réflexion sur l’harmonie. La batteuse Terri Lyne Carrington lui explique comment pousser une formation grâce au son, au rythme et à la frappe. Un autre batteur, le regretté Ralph Peterson, l’impressionne par la joie qu’il communique avec l’instrument et par son niveau de précision. Il lui montre également quelle est la relation entre la batterie et les différents instruments d’un orchestre. L’impact du contrebassiste Ben Street est de nature plus conceptuelle, établissant un lien entre la nature et la musique. Enfin, Mok évoque le rôle joué par le batteur Bob Gullotti qui lui aussi nous a récemment quittés. Il était un des membres inamovibles du trio The Fringe, une institution de Boston se produisant semaine après semaine. « Bob me faisait jouer des thèmes de Charlie Parker à la batterie, se souvient Mok. J’ai beaucoup appris en termes d’articulation et de son ; il m’a appris à donner forme à une mélodie et à utiliser la vélocité dans mon phrasé ».

Au cœur du projet est la respiration à la fois en tant que phénomène physique et métaphore

Depuis le lycée, Lesley Mok a derrière la tête l’idée de vivre à New York. 2017 est l’année de l’installation dans la Grosse Pomme. Une véritable réflexion sur la composition s’engage alors. La première œuvre de l’artiste, The Living Collection, qui est sorti au printemps chez American Dreams, est le résultat d’un labeur engagé en 2018. D’abord envisagé pour un sextet, la pandémie de Covid cause des reports de son enregistrement. De ce fait, les morceaux continuent à être retravaillés et le nombre d’instruments passe à dix.

Au cœur du projet est la respiration à la fois en tant que phénomène physique et que métaphore. Cette suite en neuf parties qui emprunte autant au jazz qu’à la musique de chambre est pleine d’atmosphère et privilégie l’introspection et la mélancolie. Sur une trame tissée par la batterie et l’électronique, omniprésentes mais subtiles, les autres instruments vont et viennent à tour de rôle. En dépit d’une instrumentation qui évolue constamment, un même et formidable esprit domine. Il faut en accorder le mérite au soin que Lesley Mok a apporté aux compositions, mais aussi à un important travail de post-production.

Lesley Mok @ Alex Joseph

Son évolution est également marquée par la participation au renommé Banff International Workshop in Jazz & Creative Music qui se traduit par trois semaines de travail intensif dans la cité canadienne. Des rencontres déterminantes en résultent, en particulier avec le pianiste Vijay Iyer, le batteur Tyshawn Sorey, la trompettiste Stephanie Richards, le saxophoniste Steve Lehman ou la chanteuse Fay Victor qui enseigne comment utiliser le corps comme un instrument. Se nouent également des liens avec la violoncelliste Okkyung Lee. « Je commençais à expérimenter avec la musique bruitiste et à vouloir me détacher de la tradition jazz, et Okkyung m’a montré d’autres approches de la musique », explique Mok.

Je recherche un environnement où je n’ai pas à me défendre, ce qui permet d’être plus créatif·ve

Le travail en solo constitue aujourd’hui pour l’artiste une priorité. L’électronique devrait y tenir une place de choix et devenir un terrain d’investigation afin de créer un environnement musical où la batterie puisse s’imbriquer. « Je vise à recréer l’impression d’un grand ensemble dans ma recherche en solo, affirme-t-iel. Par « grand ensemble », je ne veux pas forcément dire orchestral, car il peut s’agir de jazz, de hip-hop ou d’autres musiques. Mon idée est davantage d’avoir un son qui soit polyphonique, dynamique et multidirectionnel ».

Lesley Mok fait également partie d’un nombre croissant de musiciens qui ne cherchent clairement pas à dissimuler leur identité de genre fluide. Iel a notamment participé au Mutual Mentorship For Musicians lancé par Jen Shyu and Sara Serpa, où une rencontre s’opère d’ailleurs avec la violoncelliste Tomeka Reid – on les retrouve aujourd’hui au sein du Fire & Water Quintet. La mission de ce programme qui rassemble des personnes marginalisées dans l’objectif d’une collaboration est « d’émanciper, d’élever, de normaliser et de donner davantage de visibilité aux musiciens non binaires et aux musiciennes […] ». « La diversité en toutes choses compte énormément pour moi, déclare Lesley Mok. Je recherche un environnement où je n’ai pas à me défendre, ce qui d’ailleurs permet d’être plus créatif·ve ».