Scènes

Lutter contre le vague à l’âme à Chicago

Geof Bradfield rend hommage à Ornette Coleman


Photo : Alain Drouot

La lente reprise des opérations se poursuit à Constellation, devenue une oasis pour la musique vivante à Chicago, avec un groupe original, celui de Geof Bradfield.
Comment un saxophoniste ténor peut-il rendre hommage à Ornette Coleman ? Le souffleur Geof Bradfield a trouvé la solution en se concentrant sur la musique produite par un quartet réuni en studio en 1968 qui comprenait Dewey Redman ainsi qu’Elvin Jones et Jimmy Garrison. La séance d’enregistrement produira deux albums chez Blue Note : New York Is Now et Love Call.

Le 2 octobre, Geof Bradfield présente son groupe Garden of Souls qui est le titre qui ouvre d’ailleurs New York Is Now. C’est également le terme qu’utilisait Coleman pour remplacer le mot cimetière qu’il n’aimait pas. Pour la petite histoire, ce serait la composition que le saxophoniste légendaire aurait jouée aux funérailles d’un autre monstre du jazz moderne, John Coltrane. Au sein de cette formation, Bradfield s’est entouré du sax alto Nick Mazzarella, du contrebassiste Joshua Abrams et du batteur Mike Reed.

Nos quatre hommes ouvrent les hostilités avec ce morceau justement, un hymne bourré de poésie qui leur offre la possibilité d’illustrer leur approche du concept mis au point par Coleman, l’harmolodie. Suivront plusieurs autres compositions d’Ornette, complétées — le répertoire étant plutôt réduit — par des pièces signées de l’un ou l’autre saxophoniste.

Les solos de Mazzarella peuvent à première vue paraître prosaïques quand soudain, au détour d’une phrase, il donne une impulsion, une accélération qui vient relancer son travail d’improvisation. Il passe alors d’un jeu posé à une grande volubilité parfois virtuose avec une sonorité moins âcre que celle de Coleman. Bradfield est plus classique dans le sens où il s’appuie davantage sur la tradition jazzistique avec un débit fluide et enjoué.

Tous deux ont la chance de pouvoir compter sur une rythmique assurée et volontaire. Joshua Abrams alterne avec une grande facilité jeu à l’archet et pizzicato. Sur « Roundtrip », sa complicité avec Mike Reed est optimale et le tandem se démène sans ménagement. C’est également l’occasion pour le batteur l’occasion de prendre un solo plein de rigueur et cassant. Mais ce soir, le contrebassiste est certainement celui qui manifeste le désir le plus farouche de se dépasser en défrichant de nouveaux terrains.

Un des principaux intérêts du groupe est sa volonté de ne pas adhérer à un même schéma. Sur la composition de Bradfield, « Guimaraes », celui-ci et Mazzarella se trouvent quelque part entre l’unisson et le contrepoint, en décalage. Quant à sa version de « Love Call », elle surprend par une attaque qui doit plus aux envolées d’Albert Ayler qu’à Coleman (qui soit dit en passant jouait de la trompette sur l’original). « Night Owl » de Mazzarella propose un thème sémillant et permet à Bradfield et Abrams de briller. Le premier en proposant un jeu varié avec des motifs répétés, parfois à la limite du bégaiement. Le second en livrant une improvisation enlevée aux accents latins alors que ne pas faire retomber l’intensité était une gageure.

Le concert se termine en apothéose avec « Toy Dance », dont la verve reflétait sûrement le plaisir éprouvé par les musiciens pour ces retrouvailles avec un public.