Sur la platine

Out Of Your Head, un label à tête chercheuse

L’histoire du label commence comme bien d’autres, mais à l’approche de son cinquième anniversaire, force est de s’apercevoir qu’il suit une trajectoire singulière.


Lancé en octobre 2018, Out Of Your Head Records est animé par deux musiciens : le contrebassiste Adam Hopkins et le batteur Scott Clark qui sont tous deux actuellement basés à Richmond en Virginie. Alors que la majorité des labels créés par des musiciens servent à publier la musique produite par lesdits artistes, Out Of Your Head a rapidement changé son fusil d’épaule en aidant des amis ou connaissances à sortir leurs disques.

Out Of Your Head Records (OOYH) naît lorsqu’Adam Hopkins cherche à sortir son premier album, Crickets. À la différence de nombreux labels lancés par des musiciens, celui-ci ouvre immédiatement ses portes à d’autres artistes que Hopkins a notamment fréquentés durant ses années à Brooklyn. En effet, il ne lui a fallu qu’un mois pour publier l’album d’un ami guitariste, Dustin Carlson, qui cherchait lui aussi un débouché pour son premier opus, Air Ceremony. Ensuite, un effet boule de neige se produit avec des disques du saxophoniste Michaël Attias (Échos la nuit) et du contrebassiste Nick Dunston (Electric Extraction).

Au fil du temps, le label attire des musiciens de plus grande renommée : le contrebassiste Mario Pavone, le pianiste Matt Mitchell, le batteur John Hollenbeck ou le guitariste Marc Ducret. C’est d’ailleurs Tim Berne qui suggère au Français de contacter OOYH pour cet album sur lequel ce dernier joue la musique du saxophoniste. De surcroît, Hopkins et Scott Clark ont calqué leur modèle sur celui du label de Berne, Screwgun, et ils l’appellent de temps en temps pour obtenir des conseils. Le contrebassiste se déclare honoré d’avoir la confiance de grands musiciens et fier de pouvoir figurer à leurs côtés.

Une priorité d’OOYH reste toutefois de débusquer des nouveaux talents et de leur donner la chance de sortir un premier album. Dunston, la contrebassiste/chanteuse Mali Obomsawin ou le saxophoniste David Leon font partie de ces musiciens. Dans la même optique, l’album Outside, Outlier de la guitariste Hannah Marks verra le jour cet automne et d’autres premières sont déjà prévues pour 2024.

En juillet 2020, le label se diversifie en lançant la collection Untamed inaugurée par Dunston (Atlantic Extraction : Live At Threes). Ces enregistrements en concert sont d’une qualité technique inférieure (Dunston a utilisé son iPhone) mais doivent voir le jour en raison de leur valeur artistique, selon Hopkins. La collection a été mise un peu en sourdine ces derniers temps mais devrait connaître un regain d’activité fin 2023.

Jusqu’à présent, OOYH n’a pas eu les moyens de financer les séances d’enregistrement, le mixage et la masterisation qui sont à la charge des artistes. En revanche, il offre un service d’attaché de presse, le but restant de ne pas perdre d’argent. D’entrée, le label se fait remarquer par une production soignée et un look distinctif. La raison en est que l’illustrateur TJ Huff et le graphiste Nick Prevas, qui travaillent pour les Baltimore Ravens, l’équipe professionnelle de football américain, sont membres à part entière du label et offrent gracieusement leurs services.

Selon Hopkins, l’aventure a dépassé ses attentes et, suite à son déménagement en Virginie, cette activité lui permet de rester en contact étroit avec la scène de Brooklyn.

Pour nommer le label, Hopkins s’est inspiré du nom d’un collectif de musiciens auquel il appartenait lorsqu’il vivait à Baltimore et qui se produisait dans un lieu appelé Windup Space. Le contrebassiste y était revenu pour étudier avec Michael Formanek dont le rejeton, Peter, un saxophoniste, faisait partie du collectif dès l’âge de 14 ans. Il était donc naturel que OOYH sorte le disque du duo père et fils, Dyads.

Explorons quelques autres références du label qui illustrent sa portée et son esthétique.

Crickets d’Adam Hopkins est l’album par lequel l’aventure commence. Entouré d’une fine équipe – Anna Webber, Ed Rosenberg et Josh Sinton comme souffleurs, Jonathan Goldberger à la guitare et Devin Gray à la batterie –, le contrebassiste propose une musique portée par une énergie provenant du rock qui peut même être suffisamment débordante pour propulser l’encombrant saxophone basse de Rosenberg (« I Think the Duck Was Fine »). Les compositions du contrebassiste pulsent, avec leur lot de virages serrés et de revirements abrupts. Crickets lance le label sous les meilleurs auspices.

Secret People est un trio formé par la batteuse Kate Gentile, le guitariste Dustin Carlson (qui fait aussi partie de l’écurie OOYH) et le saxophoniste Nathaniel Morgan. La musique proposée est fracturée et dynamique. La guitare oscille entre les climats atmosphériques et le poil à gratter tandis que le saxophone sinueux dessine des arabesques. Quant à Gentile, elle est intenable et dévoile l’étendue de ses talents (son travail en duo avec Matt Mitchell dans Oblong Aplomb vaut également le détour). Elle est capable d’entrer en communication avec Jim Black (« Peephole ») ou de marteler ses tambours à la manière d’un batteur de metal (« Swamp Gaze »).

Aire De Agua est le premier album du saxophoniste alto David Leon qui se présente à la tête d’un quartet classique avec Sonya Belaya au piano, Florian Herzog à la contrebasse et Stephen Boegehold à la batterie. Le saxophone hoquetant apporte une touche à la Steve Lacy (« Strange And Charmed ») tandis que des passages font parfois songer aux meilleures heures des Lounge Lizards (« Aire de Agua »). D’ailleurs, les lignes mélodiques un peu bancales et décalées apparaissent fréquemment dans la musique de Leon. On distingue déjà un saxophoniste d’une grande maturité entouré de musiciens prometteurs sachant faire preuve d’économie et capables de négocier des compositions peu linéaires. Adepte d’un jazz résolument moderne, Leon maîtrise également les techniques étendues (« Pina »).

George est le nouveau groupe du batteur John Hollenbeck. Après sa trilogie Songs I Like a Lot, Songs We Like a Lot et Songs You Like a Lot où le batteur s’investissait dans la musique populaire en tous genres, il pousse le bouchon encore plus loin et les amateurs de jazz seront peut-être rebutés par ses accents dance et pop très prononcés. À la différence des albums précités, cette fois-ci Hollenbeck est bien derrière la batterie, avec un son inhabituel proche de celui des boîtes à rythmes. La formation est composée d’Anna Webber qui passe sans effort et sans concession du saxophone ténor à la flûte, d’Aurora Nealand aux saxophones alto et soprano, aux claviers et au chant qui n’hésite pas à se frotter à Webber et de Chiquita Magic au chant, aux claviers et au piano, qui contribue largement à donner à cet album sa tonalité. Et si vous vous posiez des questions quant au nom du groupe, la raison en est que chaque morceau rend hommage à une personne prénommée George.

Dawn & Dusk est le nouveau disque de Scott Clark. Il se démarque des productions OOYH qui empruntaient au rock son énergie et n’hésitaient pas à flirter avec le déjanté. Ici règnent des climats mélancoliques avec une approche cinématographique. « Silent Singing » se distingue par l’opposition d’une voix et de soufflants douloureux à un piano et une batterie brûlante d’intensité. Et « Above The Gray » est l’occasion pour Clark de montrer qu’il ne rechigne pas à swinguer. Cet album marque également une première dans l’histoire du label : il propose à la fois une version en studio et une version live. Reste à voir si l’expérience sera renouvelée alors qu’un nouveau coup d’éperon devrait être donné à la collection Untamed.