Tribune

Jazz à Cluny : Colère…

Depuis des mois, nous sommes nombreux à suivre la douloureuse chronique de Jazz à Cluny, certains en découvrent aujourd’hui la brutale issue : l’arrêt du festival et le découragement de Didier Levallet qui fonda Jazz à Cluny voici trente ans et l’anime depuis, au sens véritable du terme


Depuis des mois, nous sommes nombreux à suivre la douloureuse chronique de Jazz à Cluny, certains en découvrent aujourd’hui la brutale issue : l’arrêt du festival et le découragement de Didier Levallet qui fonda Jazz à Cluny voici trente ans et l’anime depuis, au sens véritable du terme. Alors les plus proches sont tristes et en colère, et les plus lointains ne reçoivent aujourd’hui que les éclats médiatiques les plus rances et tonitruants.

Monsieur Rolland, Maire de Cluny, s’épanchait récemment dans La Lettre du Spectacle, émanation du magazine La Scène : « C’est un caprice d’artiste », (dixit) – « comme Didier Levallet faisait jouer ses copains, ceux-ci le soutiennent » (re-dixit), en référence à la pétition des 300 musiciens et au désistement des artistes programmés pour l’édition 2007.

Déjà, pouvoir se prévaloir de 300 « copains » c’est pas si mal. Mais si l’on additionne tous les musiciens programmés par le festival, ceux qui y animèrent les ateliers et ceux qui fréquentèrent ces mêmes ateliers et devinrent depuis des grands noms de la scène française, ce sont des milliers de copains qu’il convient de créditer sur le compte amical de Didier Levallet. On note au passage que cette même lettre d’information professionnelle, reçue et lue par toute la grande communauté du spectacle vivant et de la culture, a procédé en publiant cet article (édition du 8 juin 2007) à un remarquable travail d’enquête. Le maire se prévalant par exemple de sa responsabilité républicaine dans la gestion de l’argent public, soit les 180 000 euros du festival, mais n’en détaillant pas les masses (subventions de la DRAC, recettes propres etc.). Notons aussi au passage que lorsque l’on est bénévole, même depuis trente ans, la législation du travail ne vous impose aucun préavis de départ, et que même un « caprice » dans ces conditions aurait sa légitimité.

Didier Levallet ne doit rien à personne. Le pire, c’est que précisément son sens des responsabilités, l’a conduit à repousser le plus possible une décision que d’autres auraient prise bien plus tôt et en entrant à coups de poing dans le conflit. Pas le genre de cet homme trop délicat dans un monde où les ambitions n’ont souvent pour objet qu’elles-mêmes.

Aujourd’hui, Le Monde (version électronique)) se fait l’écho de l’affaire : « Le maire, lui, est furieux. Didier Levallet, estime-t-il, « n’a pas supporté l’embauche de (…) [1]. Si celui-ci s’était appelé Dominique Durand, les choses se seraient mieux passées. Il est raciste », en conclut M. Rolland. « Une attaque qui fera bondir quiconque me connaît », soupire le musicien. »

Finalement, tout est là. Didier Levallet soupire quand d’autres à sa place aurait rugi et agité leur mérite, fût-il pure affabulation, alors que le sien se construit dans les faits et ce depuis plus de trente ans.

La calomnie arrive donc à grand pas, certains ne rechignent ni à commenter ni à décréter ce qu’il eût fallu faire, comme si l’on pouvait balayer d’un coup d’archet trente années de passion et de militantisme généreux. Comme si Didier Levallet devait se sacrifier encore à la cause du jazz, sous prétexte que des cachets ne tomberont pas cet été sur les comptes de quelques musiciens, et que ce seul bilan d’une édition sur trente était l’unique enjeu de l’affaire.

Le pire, dans cet histoire, est le déni opposé aujourd’hui par les élus clunisois et que nous ne devons à aucun moment relayer ou laisser s’installer sans faire entendre nos voix, même soupirées. En première ligne de cette campagne d’oblitération historique, un maire qui affiche aujourd’hui sa volonté de détruire l’homme à défaut d’être à la hauteur des idées, du talent, de l’engagement et des compétences de cet homme.

Des maladresses, il y en a probablement eu. Mais la proie était facile. Quand on construit sa vie en faisant, en oubliant au passage qu’il faut aussi et surtout ÊTRE quelqu’un, poser son statut plutôt que des actes et un engagement, que l’on chemine avec constance à l’ombre discrète de la sincérité et du dévouement à la vie musicale et artistique, en laissant à d’autres les paillettes de l’arrogance, on part bien démuni dans ces glauques combats où la seule règle est qu’il n’y en a pas.

Alors je suis en colère ; je suis en colère aussi car certains « subodorent » l’épuisement de Didier Levallet dans ce combat et son incapacité à se défendre. Et bien à nous de le faire ! Peu importe la faiblesse de nos armes, le nombre des « soupirs » peut faire souffler sur Cluny un grondement de vérité.

On peut admettre que même Didier Levallet ait pu emprunter de mauvaises pistes dans la conduite de ce conflit. Ces choses se règlent aisément entre gens de bonne volonté et ouverts au dialogue. Ce qui s’impose maintenant, c’est que l’on veut bannir un homme, et pourquoi pas le goudron et les plumes pour le faire fondre dans l’infamie, sort réservé il n’y a pas si longtemps encore aux Noirs américains, ceux dont le sang coule encore dans le jazz d’aujourd’hui - celui de Didier Levallet.

En opposant un tel déni et en pétrifiant l’homme dans une fiction nauséabonde, on évite le débat et on évacue les questions de fond. Un (légitime) retournement du projet au profit d’une direction administrative et artistique plus conforme à la structuration actuelle du tissu culturel est-il compatible avec l’engagement de militants bénévoles dont l’agrégation constituait jusqu’alors le projet culturel clunisois ? Comment alors trouver les moyens financiers pour transformer ces énergies gratuites en emplois rémunérés ? Et surtout, quel est aujourd’hui le projet de Cluny Culture ?

Peut-être les élus de Cluny, à commencer par le Maire, auraient-ils dû exposer leurs motifs il y a longtemps, au risque de voir s’écrouler l’édifice - à charge à chacun de rebâtir alors son projet, à la condition d’en avoir un solide. Illusion d’imaginer que tout finirait par « s’arranger ». Le mal est fait, mais la blessure est infectée, et laissera des cicatrices vives.

Il serait d’autant plus insupportable qu’à la douleur s’ajoute l’injustice, et qu’un homme dont on a effectivement beaucoup de mal à compter les ennemis, porte seul les stigmates d’un combat indigne et inéquitable, réduit à la plus simple expression du dénigrement.

Dites du mal de quelqu’un, il en restera toujours quelque chose. Essayons de rendre ce quelque chose insignifiant.

par Angel Archer // Publié le 25 juin 2007
P.-S. :


Voir aussi le communiqué récent de Didier Levallet et l’historique de l’affaire

[1(nom d’origine maghrébine du coordinateur – non publié par l’auteur de cet article – et dont la récente embauche déclencha le conflit)