Tribune

Arrache-toi d’là, t’es pas d’ma bande !

Une affaire secoue le monde de la création musicale… Le jury chargé de nommer les nouveaux pensionnaires à la Villa Médicis a choisi un projet porté par Malik Mezzadri, qui a pour lui l’énorme défaut de ne pas être issu du sérail de la musique contemporaine.


Une récente affaire secoue le petit monde de la création musicale… Le jury chargé de nommer les nouveaux pensionnaires à la Villa Médicis a choisi, entre autres, d’accorder cet honneur [1] à un projet porté par un musicien, Malik Mezzadri, qui a l’énorme défaut de ne pas être issu du sérail de la musique contemporaine.

Immédiatement, des pétitions, des démissions, des émissions dégringolent en cascades médiatiques (nous sommes en France, pays du compromis et du dialogue serein) et nous voilà lancé dans l’éternelle et emmerdante bataille du : « Mon art est plus pur que le tien », guerre stérile mais dans laquelle sont engagées de trop nombreuses armées qui croient se battre pour la juste cause, mais ne font que des roulés-boulés de pacotille.

Je ne vais pas défendre ici Malik Mezzadri, que je connais bien, puisque Citizen Jazz défend les musiques actuelles (jazz, musique improvisée et même musique contemporaine…). Mezzadri n’a pas besoin de nous, puisqu’il a obtenu le titre de pensionnaire de la Villa Médicis. CQFD.

En revanche, on peut - il faut, par principe – soutenir ceux qui se lèvent contre l’intolérance et la discrimination, au sein même de la création artistique. C’est ici que cela se passe (commentaires clos).

Mais il me semble que cette affaire illustre aussi, d’une autre manière, la frayeur irrationnelle et dangereuse qui s’empare, à juste titre, du monde culturel.

La crise actuelle est l’un des prétextes [2] au gel des subventions culturelles. L’avenir de la culture en France est menacé d’une part par les nouveaux transferts de compétences des collectivités territoriales, par la restructuration du Ministère de la Culture et des DRAC, par la création d’un comité central qui joue le rôle de supra-ministère et surtout par l’action politique qui, depuis trois ans, a tout fait pour requalifier l’art et la création en marchandise.
Il faut que cela rapporte.
Après avoir mis cinquante ans à reconnaître que la culture était un immense créateur de richesses économique [3], les marchands sont là pour s’en occuper.
Comprenez : on ne va pas « filer » des milliers d’euros à un projet qui va prendre six mois pour aboutir à trois représentations devant trois cents personnes qui paient tarif réduit…

Festivals annulés, résidences supprimées, émissions de radio déprogrammées, subventions gelées, coupées ou soumises à des critères inatteignables, tout est mis en place, petit à petit, sans trop de remous (facile : entre la grippe A, la marée noire, la retraite, le mondial, on occupe le terrain) pour instaurer le principe suivant, l’odieux principe : il faut que ça rapporte immédiatement, beaucoup et souvent.

Je vous laisse imaginer ce que ce principe engendrera s’il est appliqué par tous et partout. Il ne restera que les chaînes de télévision capables de proposer une culture (pardon, des produits culturels) qui rapporte immédiatement, beaucoup et souvent.

Heureusement, les collectivités locales semblent, pour certaines, comprendre ce danger et l’on voit des maires, des conseillers, des présidents de région monter au créneau pour lever un bouclier, non pas fiscal celui-là, mais philosophique, artistique, culturel, vital, humain… et tenter de sauvegarder et d’aider les structures et les manifestations locales.

Quant aux musiciens de jazz, il y a longtemps qu’en France et en Europe, ils ont fait sauter les barrières entre les styles, les genres, les univers. Pour notre plus grand plaisir.

par Matthieu Jouan // Publié le 21 juin 2010

[1Après tout, la Villa Médicis reste une référence dans le domaine de la création artistique – sa direction étant elle-même souvent convoitée par des personnalités politiques de tous bords, en mal de reconnaissance…

[2Personne n’y croit vraiment, cette crise procède de mécanismes financiers parfaitement huilés et prévisibles, puisqu’elle permet aux riches d’être encore plus riches et aux pauvres encore plus pauvres. Une vraie crise, au sens logique, devrait produire l’effet inverse !

[3Souvenez-vous de l’émoi de l’annulation d’Avignon en 2003 : on ne parlait que des millions perdus par les commerçants et l’hôtellerie ! Le pot aux roses…